Un jour, Marc Dugain a vu
un film sur Ed Kemper, assassin de ses grands-parents, de sa mère et d’une amie
de celle-ci ainsi que de six jeunes filles. Cela lui a donné l’envie de s’« immiscer dans cet être
complexe », comme il l’explique en quelques lignes pour terminer Avenue des Géants.Al Kenner, ainsi que Marc
Dugain a rebaptisé son personnage, a découvert Crime et châtiment en prison. On ne mettra pas cette lecture sur le
compte du hasard.Pas davantage qu’il n’y a
de hasard, sinon romanesque, dans l’Avenue
des Géants du titre, là où Al Kenner a eu un accident de moto : « j’y ai vu un signe, même si cette
appellation tenait seulement aux arbres immenses qui la jalonnaient. »
Comme son modèle réel, il mesure 2,20 mètres, ce qui l’empêchera d’entrer dans
l’armée pour se battre au Vietnam.Une taille encombrante ne
suffit pas à faire naître une vocation de tueur. Sinon que, moins grand, Al
aurait eu une vie différente. Mais ses véritables problèmes résident dans les
rapports avec une mère qui lui mène la vie dure, comme d’ailleurs à son mari
qui finira par jeter l’éponge en la quittant. Al tue des chats, il en décapite
même un pour exprimer, dira un psychiatre, le désir de décapiter sa mère. Cela
viendra, plus tard, après d’autres meurtres. Dont plusieurs ne seront révélés
qu’à la fin du roman – ils ne surprennent pas, si on a jeté un œil sur la
biographie d’Ed Kemper.Si celui-ci est un sujet
idéal pour une fiction, ce n’est pas tant à cause des crimes pour lesquels il a
été condamné. Mais plutôt pour le versant psychologique de son histoire et pour
la manière dont, devenu grand lecteur, il s’intéresse à son propre cas. Il sera
ainsi capable, grâce à ses connaissances toutes neuves, de tromper le psy qui
le suit, et même le jury qui décidera d’effacer son premier casier judiciaire –
ses grands-parents – après avoir estimé qu’il ne représente plus un danger. On
verra comment ils se trompent.Il serait aisé d’utiliser Avenue des Géants comme socle d’un procès intenté aux psychologues
et psychiatres pour leur rôle dans la justice. Là n’est pas le propos de Marc
Dugain. En se mettant dans la peau d’un géant très intelligent (Al rappelle
plusieurs fois que son QI est supérieur à celui d’Einstein), il explore une
personnalité complexe. Beaucoup s’accordent à le trouver gentil et il occupe
d’ailleurs sa captivité à enregistrer des livres à destination des aveugles.
Mais il a développé par ailleurs les caractéristiques du monstre qu’il est
aussi, comme le lui disait souvent sa mère. Il n’est pas quelque part entre les
deux. Il est les deux à la fois. Avenue
des Géants est, pour cela, un livre inquiétant et bourré de questions sans
réponses.