Dès les premières pages, ce livre — Super triste histoire d'amour, de Gary Shteyngart — m'a énervé. Que j'en ai marre de ces auteurs qui ne font que partager le journal de leurs conquêtes de brave mâle hétéro en narrant l'introspection du désir masculin, le plaisir qu'ils ont des charmes féminins, se croyant audacieux d'évoquer l'acte sexuel… quel ennui ! De plus, le narrateur séduit, devinez quoi ? une étudiante. Devinez où ? à Rome. Avec quoi ? sa maturité et son pouvoir d'achat de quarantenaire. Que de clichés !
J'avais croisé ce livre dans un magazine contemporain, qui « veut comprendre le monde qui vient », Usbek et Rica, où il était présenté comme « roman d'anticipation des années iPhone ». Tu parles ! Enrobé dans un décor certes high-tech, simple plagiat de notre réalité hyperconnectée, l'histoire reste d'un conformisme déplorable, sans intérêt pour la lectrice, femme, que je suis. Elles sont super tristes, oui, les histoires d'amour de ces auteurs. Qu'est-ce qu'on s'emmerde avec leur baise petite bourgeoise si androcentrée !
En cours de lecture, je me suis souvenue, comme un manque, d'abord diffus, puis de plus en plus précis, à l'exact opposé, de Guillaume Dustan, de sa verve, de son ardeur. Un être de chair, si vivant, qui avait quelque chose à partager et a eu l'audace de nous l'offrir, hors normes, faisant péter les carcans, tous, provocant, jusqu'à la mort. Il n'avait pas peur de placer la sexualité au centre de sa vie et de ne pas s'en cacher. Un homme, un vrai.
L'idée était d'écrire une sorte d'Odyssée, une histoire de ma vie sexuelle qui était aussi une découverte, un voyage dans les contrées sauvages et inconnues du sexe, peuplées de monstres divers. Ma « vie sexuelle ». Un truc en fait assez peu exploré par la littérature, alors que dans la vie de chacun il y a des transformations incroyables, profondes, dans le rapport à ces choses-là au cours de la vie ou de périodes suffisamment longues de la vie. Encore une fois l'idée était de donner de l'importance à des choses dont on ne parle pas et qui sont pourtant de l'essence même de la définition de soi.
Libre-penseur, qui traçait loin devant et donnait de la voix, la sienne — j'ai adoré Je sors ce soir — et celle d'autres : il a créé « Le Rayon » aux Éditions Balland, première collection littéraire française LGBT, qui a publié des textes formidables. Lui qui se disait « totalement féministe », questionnait les stéréotypes, en particulier autour de la pénétration, provocant pour mieux nous réveiller. Dans cette collection, il a publié, en 1999, pour la première fois en France, Les Monologues du vagin, me faisant découvrir ces paroles de femmes, habituellement inaudibles. Merci.
J'ai donc jeté cette super triste histoire d'amour pour retrouver Dustan et ma liberté, dans un même mouvement.
On se croit libre, c'est faux. Il y a toujours des oppresseurs et des opprimés. Il y a toujours des bourreaux et des victimes. Le monde est toujours homophobe, raciste, patriarcal, sexiste, autoritaire, familiariste, théocratique, etc.
À relire d'urgence, en ces temps de haine envers la liberté sexuelle et le mariage pour tous.
À relire : les Œuvres I de Guillaume Dustan, réédition POL, mai 2013, qui réunit Dans ma chambre, Je sors ce soir et Plus fort que moi.
France Culture lui rendait bel hommage en rediffusant l'autre soir cet atelier de création radiophonique de 2006 : Dustan Remix. Voir aussi cette Interview biographie de Guillaume Dustan, archive INA, France 2, 2001.