Admirons, nous disait-il, prenons seulement, cette fois, une connaissance générale du pays. Observons tout soigneusement. Tâchons de voir, le plus possible, et de voir nettement. Imprégnons nos yeux de toutes les choses d'Égypte. Puis, nous laisserons se tasser nos impressions et nos souvenirs, et, l'an prochain, nous serons bien mieux préparés à copier des textes, et à les bien copier.
René CAGNAT
Notice sur la vie et les travaux de M. Gaston Maspero
Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres n° 6,
1917, Site "Persée", p. 456
Nous sommes en janvier 1881. Le grand égyptologue français Auguste Mariette, - celui-là même qui avait entre autres mis au jour le Serapeum de Memphis que Pierre Loti, souvenez-vous, avait décrit dans le sixième chapitre de son célèbre ouvrage La mort de Philae -, vient de décéder.
Désireux de maintenir la présence de la France en terre égyptienne, son Consul général nomme sans tarder Gaston Maspero (1846-1916) pour succéder à Mariette à la tête du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes (CSA).
Accompagné d'autres égyptologues français, Maspero entreprend alors un voyage de découverte du pays mais, et c'est là l'originalité du projet, en tant que véritable touriste et non de savant.
Ainsi, selon l'un d'eux, imposa-t-il à tous, comme vous venez de le comprendre dans
l'exergue que je vous ai proposé ce matin, l'interdiction absolue de copier en cours de route un seul signe hiéroglyphique, et cela afin qu'ils ne se détournent pas de l'essentiel
: regarder, admirer, apprendre à voir ...
C'est un peu à cela que, - mutatis mutandis, et certes pas l'an prochain comme disait Maspero, mais dès la création de ce blog,beaucoup parmi vous l'ont compris, amis visiteurs -, je tente de me consacrer tout au long de nos rencontres ; et pour l'heure, plus spécifiquement depuis le 15 janvier, devant la scène du repas funéraire de Tepemânkh (E 25408) gravée sur un imposant bloc calcaire exposé seul dans la grande vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Certes, ces dernières semaines, l'opportunité s'est présentée - que je n'ai point refusée - de quitter une fois encore les murs de l'ancien palais des rois de France aux fins de vous offrir un périple qui vous emmena de Mariemont, en Belgique, à Alexandrie, en Égypte. Et mardi dernier, c'est à l'ULB, à l'Université libre de Bruxelles, que je vous conviai en vue d'honorer Elisabeth et Robert Badinter.
Aujourd'hui et lors de nos rendez-vous à venir jusqu'au congé scolaire de Toussaint, il m'agréerait comme promis d'à nouveau attirer votre attention sur Tepemânkh en nous attardant à sa position, à sa gestuelle, à sa tenue vestimentaire ...
Auparavant, autorisez-moi une ultime petite incursion belge : à Bruges très précisément, merveilleuse cité médiévale flamande dans laquelle nous venons, mon épouse et moi, de passer quelques jours empreints d'une richesse esthétique incomparable. Là, au détour d'une rue commerçante - il faut bien sacrifier à une certaine modernité si l'on ne veut pas que Bruges se meure ! -, j'ai fait une découverte pour le moins surprenante qui, peut-être, n'eût pas déplu à Tepemânkh dans la mesure où cela lui eût permis d'accroître les propositions de son "menu" post mortem.
En effet, à quelques dizaines de mètres du Frietmuseum
- eh, oui, c'est dans une superbe bâtisse brugeoise datant de 1399 que s'est installé, unique au monde, un très intéressant et très didactique Musée de la Frite -, tout proche donc vous disais-je, a été ouvert le New Pitta Amon, (cela ne s'invente pas !)
restaurant apparemment spécialisé dans les grillades de viandes égyptiennes, et incontestablement placé sous l'égide de Toutânkhamon
Après ce petit clin d'oeil adressé à la cuisine égypto-belge, revenons plus sérieusement à présent, voulez-vous, auprès de notre hôte assis devant sa table d'offrandes, n'attendant que notre bon vouloir
(Grand merci à SAS pour ce cliché.)
aux fins ce matin de détailler ce qu'il porte sur lui, ce que l'égyptologue belge Nadine Cherpion nomme les éléments du costume masculin qu'elle a retenus pour établir les critères stylistiques permettant de dater les mastabas de l'Ancien Empire.
Mais avant, et aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, j'indiquerai d'emblée ce qu'ici il ne porte nullement, à savoir : bracelets et collier. J'insiste sur le "ici" puisque, rappelez-vous, quand nous nous étions rendus à l'étage supérieur, en salle 22, pour y retrouver dans la Galerie d'étude n° 2 l'autre relief (E 11161) provenant de ce même mastaba D 20 et sur lequel il est représenté en compagnie de son épouse Aoutib, prêtresse d'Hathor, bienheureuse, qu'il aime,
nous avions noté la présence d'un collier assez large, malheureusement dépourvu de l'un quelconque détail incisé censé nous fournir l'un quelconque renseignement sur ce qui le constituait.
Malgré les martelages dont la pierre a souffert,vous constaterez que sur le présent relief, les deux seuls éléments "vestimentaires" à prendre en considération sont le pagne et la perruque.
Il faut savoir qu'à l'Ancien Empire, un propriétaire de tombeau représenté assis à sa table d'offrandes peut exhiber différentes tenues allant du pagne court le plus simple, près du corps et en lin uni, - c'est le cas de Tepemânkh qui, par parenthèse, se révèle tellement commun qu'il n'entre absolument pas dans la liste des critères susceptibles de fournir quelque indication chronologique que ce soit -, au vêtement long, étoffe tachetée imitant ou réellement en morceaux de peaux de panthère assemblés les uns aux autres, tombant jusqu'aux chevilles mais offrant la particularité de laisser un bras nu quand l'autre est couvert.
Ce type d'habit pouvait également être porté par les épouses de défunts : ainsi avez-vous déjà eu l'occasion précédemment d'en admirer un très bel exemplaire sur la stèle de Nefertiabet, dans la même salle 22, non plus au sein de la deuxième Galerie d'étude mais dans la vitrine 5 ; et, bien évidemment, ci-dessus, sur la gauche du bandeau qui chapeaute mon blog.
Existe enfin une troisième tenue masculine possible, plus rare dans la mesure où elle est caractéristique de la seule Vème dynastie : il s'agit d'une petite peau de panthère, non mouchetée celle-là, enveloppant un pagne court, les deux dégageant complètement les jambes à partir des genoux.
Un très bel exemple connu - que je me suis permis de photographier pour vous à partir de la planche 17 de l'ouvrage que l'égyptologue belge Baudouin van de Walle avait en 1978 consacré à la chapelle funéraire de Neferirtenef présentée aux Musées royaux d'Art et d'Histoire (M.R.A.H.) de Bruxelles -, figure sur le tableau du repas de ce haut dignitaire palatin représenté sur l'une des deux stèles fausse-porte de la paroi ouest de son mastaba.
Vous y remarquerez d'emblée, sur l'épaule gauche, la partie de la peau d'animal avec les griffes d'une des pattes et sur la hanche droite, la figuration de la tête du félin.
Permettez-moi d'insister sur le fait que j'ai l'instant précisé non pas les différents types de pagnes connus en Égypte ancienne par la gent masculine mais uniquement ceux des seules scènes où le mort est assis devant son guéridon d'offrandes alimentaires.
Quant aux perruques portées par les hommes, j'ai déjà souligné à propos de Metchetchi qu'à la différence des nombreuses coiffes féminines, elles se déclinaient en seulement deux catégories : la courte, dégageant le bas de la nuque et, pour autant qu'elles soient indiquées par le lapicide, présentant des rangées horizontalement réparties de mèches censées être bouclées ; et la longue, tombant sur les épaules, aux ondulations verticalement dessinées. Toutes deux, cachaient ou non les oreilles, celle les laissant apparentes étant bien plus rare que l'autre.
A la différence de Neferirtenef à Bruxelles qui, lui, arbore une perruque franchement longue, notre Tepemânkh s'est choisi une courte recouvrant tout à la fois le haut de la nuque et les oreilles, alors que sur le relief de la salle 22, ces dernières étaient complètement dégagées ...
A moins que là, - distinction malaisée à établir, ne fût-ce que par l'imprécision de
l'artiste qui n'a que silhouetté l'ensemble -, ce ne soit pas une perruque mais ses véritables cheveux courts que nous apercevons.
(Cherpion : 1989, 54-63 ; Ziegler : 1990, 253-61)