Par Francis Richard.
La démocratie représentative, basée sur la tyrannie du nombre, conduit tout droit à la croissance de l’État, qui se transforme mécaniquement en État-providence, sans échappatoire, et remet en cause la prospérité.
Dans leur livre iconoclaste, Dépasser la démocratie, ces deux auteurs démontent d'abord 13 mythes qui fondent la religion séculaire de la démocratie, telle que nous la connaissons dans les États-nations. Puis ils démontrent que plus de démocratie se traduit par moins de liberté et moins d'harmonie. Enfin ils proposent une alternative qui met en avant la liberté individuelle.
Quels sont ces 13 mythes de la démocratie ?
1. Chaque vote compte
Un vote sur des millions n'a aucune influence réelle et ne constitue qu'une vague préférence : "Il existe rarement une personne ou un parti avec lesquels vous êtes d'accord sur tous les sujets." Une fois que vous avez voté, on prend à votre place pendant des années (quatre ou cinq) de multiples décisions auxquelles vous n'avez pas donné votre accord.
2. Dans une démocratie, le peuple gouverne
En réalité, ce n'est pas le peuple dans son entier qui gouverne, mais tout au plus une majorité d'électeurs, représentés par un plus petit nombre d'hommes politiques qui décident à leur place, souvent contre leur volonté, sous la pression de lobbys, de groupes d'intérêts et d'activistes.
3. La majorité a raison
"Une chose n'est pas vraie par le simple fait que de nombreuses personnes croient en sa véracité." De plus, "[les gens] espèrent partager la charge avec d'autres et profiter d'avantages payés par d'autres" et "la quantité l'emporte sur la qualité". Ce n'est donc ni rationnel, ni moral.
4. La démocratie est politiquement neutre
"Sur le long terme, les démocraties occidentales ont constamment avancé dans la direction d'une plus forte interférence étatique, d'une plus grande dépendance envers l’État et d'un plus haut niveau de dépenses publiques."
5. La démocratie mène à la prospérité
Il n'y a pas corrélation entre pays démocratiques et prospérité. L'évolution récente prouve même l'inverse : "Le secteur privé s'érode progressivement, dans un processus menaçant de détruire la richesse formidable créée par l'Occicent pendant des siècles." Dans une démocratie, "les citoyens sont incités à obtenir des avantages au détriment des autres" et les hommes politiques "à dépenser autant que possible, afin de pouvoir obtenir les mérites et laisser leurs successeurs payer la note".
6. La démocratie est nécessaire pour assurer une juste distribution des richesses et pour venir en aide aux pauvres
La distribution des richesses, sous forme de subventions, de privilèges et d'emplois, se fait sous la pression de lobbys : "Dans ce système, le parasitisme, le favoritisme, et la dépendance sont encouragés, tandis que la responsabilité individuelle et l'autonomie sont découragés." Pour aider les gens incapables de subvenir à leurs propres besoins, "il n'est pas nécessaire de créer la machine redistributive massive de nos démocraties. Cela peut être fait par des institutions privées de charité".
7. La démocratie permet de vivre tous en harmonie
"L'une des conséquences malheureuses du système démocratique est que les gens sont incités à former des groupes qui entreront nécessairement en conflit avec d'autres groupes. Il en est ainsi parce que vous n'avez aucune chance de transformer vos idées en loi qu'en faisant partie d'un groupe (ou d'un bloc d'électeurs)."
8. La démocratie est nécessaire pour créer un sentiment de communauté
"La démocratie est une organisation dont l'adhésion est obligatoire. Une véritable communauté repose sur la participation volontaire."
9. La démocratie signifie la liberté et la tolérance
"La liberté signifie que vous n'avez pas à faire ce que la majorité de vos semblables veut que vous fassiez, mais que vous pouvez décider pour vous-même." Les démocraties protègent quelques minorités et d'autres pas, limitent la liberté d'expression par de nombreuses exceptions.
10. La démocratie favorise la paix et aide à lutter contre la corruption
Historiquement les démocraties ne sont pas pacifiques les unes avec les autres (voir les belligérants de la Grande Guerre ou les récentes guerres entre Russie et Géorgie ou entre Israël et Liban). "La corruption est inévitable là où l'Etat a beaucoup de pouvoir, quel que soit le système politique, et cela inclut évidemment la démocratie."
11. Dans une démocratie les gens obtiennent ce qu'ils désirent
En fait, c'est le contraire, parce que plus de démocratie conduit à plus de bureaucratie et à plus d'entraves pour le marché : "Le marché libre ne fonctionne pas par des processus démocratiques. Pourtant, dans un sens, le marché libre est plus "démocratique" que la démocratie car les citoyens peuvent faire leurs propres choix plutôt que d'avoir le gouvernement qui choisit pour eux."
12. Nous sommes tous favorables à la démocratie
Parce que nous n'avons pas le choix, sinon. "En fait de nombreux démocrates bien-pensants seraient sans doute heureux d'échapper aux mesures qu'ils sont censés avoir choisies par les urnes."
13. Il n'y a pas de meilleure alternative
"Nous n'utilisons pas la démocratie dans le domaine scientifique, nous ne votons pas sur la vérité scientifique, mais nous utilisons la logique et les faits. Il n'y a donc aucune raison de penser que la démocratie est nécessairement le meilleur système politique." De fait, "plus un État démocratique est grand et plus sa population est hétérogène, plus des tensions naîtront. Les différents groupes d'un tel État n'hésiteront pas à utiliser le processus démocratique pour piller les autres autant que possible, et pour interférer avec eux. À l'inverse, plus les unités administratives sont petites et plus la population est homogène, plus il est probable que les excès de la démocratie restent limités. Les gens qui se connaissent personnellement ou se sentent liés les uns aux autres sont moins enclins à se voler et à s'opprimer les uns les autres".
Cette démythification est nécessaire et montre que la démocratie est intrinsèquement collectiviste : "Les gens dans une démocratie se tournent naturellement vers l’État pour qu'il prenne soin d'eux."
Les hommes politiques, pour avoir la faveur des électeurs, jettent de l'argent sur les problèmes, réglementent à tout va et créent des commissions pour mettre en œuvre leurs règles et réglementations. Il ne faut pas s'étonner que les bureaucraties fleurissent, que les parasites qui doivent leur existence à l’État pullulent, que les hommes politiques soient saisis par la mégalomanie et que des citoyens toujours plus nombreux deviennent des assistés.
L’État-providence encourage ceux qui en profitent et décourage ceux qu'il spolie. Le nivellement se fait par le bas. "Les désaccords privés sont continuellement transformés en conflits sociaux". "Tout le monde se sent poussé et encouragé à imposer sa vision du monde aux autres". Les hommes politiques ont une vue à court terme, celui de leurs échéances électorales et dépensent sans compter pour être réélus. L'argent manque ? Ils augmentent les impôts, puis empruntent, enfin font tourner la planche à billets, c'est-à-dire pratiquent le vol légal d'une manière ou d'une autre.
Le mécontentement est général. Plus personne n'a confiance.
Peu de gens remettent en cause l'origine principale des maux qu'ils subissent, la nature collectiviste de la démocratie.
La situation est mûre pour l'appel à l'homme providentiel, au dictateur bienveillant : "Fini les débats sans fin, l'indécision, la querelle, l'inefficacité. Mais ce serait une bien mauvaise affaire. Nous recevrions l'ordre public, c'est vrai. Mais le prix serait la fin de la liberté, du dynamisme et de la croissance."
Il existe une autre voie, celle de la décentralisation du pouvoir et de la liberté individuelle : "La décentralisation, contrairement à la démocratie nationale, est un système de "vivre et laisser vivre". Alors laissons fleurir un millier de nations. La diversité dans la gouvernance implique que les gens peuvent décider plus facilement sous quel système ils souhaitent vivre."
Les auteurs donnent l'exemple de la Suisse avec ses vingt-six cantons, ses 2.900 communes, ses impôts versés majoritairement au niveau cantonal et communal, et non pas fédéral, ses différentes réglementations qui se font concurrence, sa non-appartenance à l'Union européenne. La Suisse est en effet "un pays qui réussit très bien" : "Au niveau mondial elle est dans le peloton de tête en termes d'espérance de vie, de niveau d'emploi, de bien-être et de prospérité. Elle est l'un des rares pays au monde qui n'a pas connu de guerre depuis plus d'un siècle. Malgré l'existence de quatre langues (allemand, français, italien et romanche), il y a beaucoup d'harmonie sociale."
Les auteurs ne préconisent pas la Suisse "comme un idéal ou comme la seule option" : "Mais c'est un exemple qui montre comment le pouvoir décentralisé pourrait fonctionner et comment il conduit à une baisse des impôts et à une plus grande liberté individuelle."
Pour les auteurs la société idéale serait la suivante : "En fait, notre société idéale et libre serait semblable au modèle sur lequel est basé Internet. Avec Internet quelques règles s'appliquent. Elles sont simples à respecter. Pour le reste, chacun peut participer à sa guise." Transposé, cela donne : "Dans une société libre, la règle principale est de ne commettre ni fraude, ni violence, ni vol. Tant que les gens s'en tiennent à cette règle, ils peuvent offrir tous les services, y compris ceux qui sont considérés comme des "services publics". Ils peuvent également créer comme ils l'entendent leurs propres communautés – monarchiste, communiste, conservatrice, religieuse ou même autoritaire, pour peu que leurs "clients" adhèrent volontairement et pour peu qu'ils laissent les autres communautés tranquilles."
Cette société libre serait contractuelle : "Une société devrait être fondée sur des contrats où les droits sont respectés et où toutes les parties savent à quoi s'en tenir." Les auteurs sont confiants et pensent que leur société idéale n'est pas utopique. Ils placent leur espoir dans la technologie pour y parvenir : "En réalité, la technologie est la véritable force de démocratisation, bien plus que le système démocratique lui-même."
Ils appellent de leurs vœux la constitution de petites unités administratives : "Nous croyons que l’État-nation et la démocratie qui va avec sont des institutions du XXe siècle, pas du XXIe siècle. Le chemin vers l'autonomie et l'autogouvernement continuera, mais il ne passera pas par les larges démocraties. Il passera par la décentralisation et par l'organisation des personnes en plus petites unités administratives, conçues par les gens eux-mêmes."
Le préalable se trouve dans leur conclusion : "Il est temps de nous libérer de la tyrannie de la majorité. Nous n'avons rien à perdre, à part les chaînes qui nous lient les uns aux autres."
– Frank Karsten et Karel Beckman, Dépasser la démocratie, Institut Coppet, 2013, 144 pages