Il faut être audacieux, ou sans alternative, pour courir les rédactions, radios et télés en communiquant sur le « tiers payant généralisé en 2017 », une expression aussi incompréhensible pour la population qu’elle semble simple au premier abord, chacun y mettant un sens différent. D’autant qu’il est difficile de ne pas songer à P. Douste-Blazy et son fameux « DMP généralisé pour chaque français en 2007 ». En 2013, un demi-milliard dépensé et un DMP aussi vide qu’il y paraît.
Les annonces restent des annonces.
Le tiers payant permet au patient de ne pas avancer l’argent au professionnel de santé qu’un tiers – le plus souvent non identifié – paie à sa place selon un mode opératoire obscur. Pour la part complémentaire, certaines assurances récupèrent l’information auprès de la Sécurité sociale et règlent rapidement le professionnel, d’autres exigent un envoi postal qui se perd (parfois) dans les méandres de réclamations successives.
Le tiers-payant n’est en tout cas pas la gratuité – un concept déresponsabilisant et contre-productif. Il n’est pas non plus inflationniste.
Nos dépenses de santé par habitant battent des records, le déficit se creuse et les inégalités de santé progressent.
Ailleurs, la non-avance d’argent est utilisée pour orienter les patients vers les soins de première ligne. Au final, ces pays contiennent mieux leurs dépenses de santé.
Nous continuons à orienter les demandes de soins vers l’hôpital où les interventions, même les plus banales, coûtent a minima 10 fois plus cher qu’en ville. Paradoxalement, la prise en charge à l’hôpital coûte plus cher mais on n’y avance pas de frais.
Pourquoi, dans ces conditions, s’opposer à ce « tiers payant généralisé » ?
Nombreux sont ceux qui s’arcboutent contre le tiers payant pour des raisons idéologiques. Sauver les apparences et croire encore au libéral imposerait de s’en tenir à la trilogie : paiement à l’acte, libre choix, paiement en direct au professionnel.
Les plus attachés à ces vestiges inventent même une dimension thérapeutique au passage de l’argent de la main du soigné à celle du soignant.
Entendre des médecins se plaindre d’être débordés par les demandes de soins est en soi un problème. Contenir ces demandes de soins par la sanction financière ajouterait l’injustice au défaut de soins.
Les soignants libéraux ou salariés sont de fait rémunérés par la solidarité. Celle-ci leur garantit le paiement en échange d’une responsabilité additionnelle.
L’éthique du soignant lui impose d’apporter au malade les soins dont il a besoin en respectant sa dignité et ses choix. Parce que la solidarité lui garantit le paiement, il doit aussi rechercher sans cesse le juste soin pour fournir au patient ce que son état de santé nécessite, ni plus ni moins. La question du tiers-payant relève donc du choc papier monnaie contre responsabilité du soignant.
Le tiers payant généralisé aux professionnels de première ligne qui le souhaitent au sein des équipes de soins ambulatoires est une évidence : l’entrée dans le système de soins doit être facilitée non seulement parce que c’est un droit pour la population mais également parce qu’il est moins couteux à tous points de vue d’intervenir au début plutôt que d’attendre que ces maladies évoluent.
Ni dupe ni hypocrite
Le tiers payant ne suffit pas à orienter les demandes de soins vers les soins primaires. Les professionnels doivent s’organiser pour répondre facilement et simplement aux malades qui doivent savoir où s’adresser, quand et comment pour obtenir une réponse dans des délais adaptés.
Pour que cette annonce du tiers-payant généralisé devienne une véritable mesure d’accès aux soins, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Le tiers payant va avec un bon usage du système de santé et un recours en priorité au médecin traitant et aux équipes de santé de ville sauf urgence vitale. A charge pour celui-ci d’organiser la continuité des soins c’est-à-dire d’assurer une réponse aux demandes ;
- Le tiers payant ne doit pas être un risque pour le professionnel, la garantie de paiement des actes réalisés est une absolue nécessité. Tenter à travers ce dispositif de justice sociale de spolier une nouvelle fois les professionnels en baissant les rémunérations des moins rémunérés serait une faute.
- La comparaison avec d’autres pays OCDE des moyens dévolus aux médecins généralistes (moins 50 à 100% de dotation en France) explique la désaffectation envers la médecine générale que chacun constate. Inutile d’en rajouter sous couvert de tiers payant.
- Le tiers payant ne doit pas être une contrainte supplémentaire, force est de constater que la ministre est restée floue sur les aspects techniques qu’elle n’aura sans doute pas à mettre en œuvre personnellement d’ici 2017.
- Enfin, puisqu’il s’il s’agit de favoriser l’accès aux soins, une mesure législative simple peut être prise de façon à garantir au professionnel que chaque acte sera réglé a priori par la Sécurité sociale laquelle récupérera la part complémentaire auprès de l’organisme compétent. Les éventuels contrôles, qui restent de droit, étant réalisés a posteriori.
Tout autre schéma serait voué à l’échec ; les professionnels s’en détourneraient et avec raison.
Il ne faudrait pas en effet que cette annonce cherche à dissimuler le prolongement du mouvement de privatisation de la Sécurité sociale et la mise sous tutelle des soignants par accord individuel et direct avec chaque assureur complémentaire.
C’est précisément pour défendre l’accès aux soins et l’indépendance des professionnels que Soins coordonnés a mobilisé les professionnels de santé contre les réseaux mutualistes de la loi Fourcade puis Le Roux et contre « l’ANI santé ». Accepter le tiers payant généralisé, une mesure juste, sans en connaître toutes les modalités d’application au risque de fragiliser encore notre système de santé, ne fait pas partie de nos plans.
Source : Communication de Martial OLIVIER-KOEHRET,Ce texte est également paru sur : Panser la santé
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