La misère aux doigts de rasoir,
Aux doigts de caoutchouc aussi et de brouillard.
La misère, c’est quand on pense
Qu’on y patauge.
La misère, à la fin, c’est ce qui fait
Qu’on n’y pense plus.
La misère, c’est de dire :
Nous n’aurons pas encore de lessiveuse cette année.
C’est de dire : il n’y a qu’une casserole
Pour le café, pour la vaisselle, pour les pommes de terre
Et bientôt elle sera percée.
La misère, c’est aussi de dire :
Et qu’est-ce que ça fait
S’il n’y a plus de casserole,
Puisqu’il n’y a rien à mettre dedans ?
La misère, c’est quand on dit :
Rien à perdre et tout à gagner.
Mais le total de la misère,
La misère au bout de la misère,
C’est quand on dit : tout m’est égal,
Je ne sais plus, je ne veux plus, je ne peux plus.
***
Eugène Guillevic (1907-1997) – Gagner (1949)