Le Corporatisme Pour Les Nuls : aujourd'hui, les ophtalmos
Publié le 30/09/2013
La France est un pays de fromages (laitiers et républicains), de vins et de paradoxes. Ainsi, dans ce pays, qu'on se le dise, le travail est à la fois une denrée rare, chérie par beaucoup, et que beaucoup d'individus se battent, tous les jours, pour faire disparaître. L'actualité illustre ce point de façon alarmante.
Bien sûr, il y a le cas récent de Séphora, évoqué récemment dans ces colonnes : des joyeux syndicats, que d'aucuns pourraient taxer de mafieux, ont réussi à faire fermer le magasin de parfums aux horaires qu'ils cautionnaient, en parfaite opposition avec les salariés qu'ils prétendent représenter.
Bref, comme on peut le voir, la lutte contre ceux qui ont trouvé un travail continue d'arrache-pied, tant chez les syndicalistes qu'au gouvernement. Et bien sûr, ce serait trop beau si cela pouvait s'arrêter là : en pratique, chaque strate de la vie française est ainsi pourrie de ces petites manies, plus ou moins anciennes, qui consistent à compartimenter, cloisonner et découper toutes les possibilités de travail en fines lamelles étanches entre elles.
L'intérêt de ce découpage est évident : ceux qui sont dans les lamelles, qui ont réussi à s'insérer dans le bon compartiment, dans la bonne petite case et le bon cloisonnement ont tout intérêt à filtrer minutieusement ceux qui veulent les rejoindre. Cela leur permet d'entretenir la rareté, la pénurie de biens et de service ; bien gérée, une barrière à l'entrée peut se transformer en rente de situation. C'est ainsi que les corporations, en France, ont toujours fonctionné. Et à mesure que l’État a pris plus de place dans la vie du citoyen, du consommateur et du client, les corporations ont accru leur pouvoir au travers d'un lobbying d'autant plus efficace qu'elles savaient bien arroser les bonnes personnes, les bons politiciens.
Et c'est logiquement que sera d'autant plus féroce la lutte de ces corporatismes contre la disparition des barrières à l'entrée qu'ils ne doivent leur existence et leur raison d'être qu'à ces barrières. On se souvient de la corporation des taxis, en lutte régulière contre toute augmentation du nombre de licences et pour la conservation de leur pouvoir d'achat au détriment du client. De la même façon, on se souvient des cries d'orfraies proférés par les dentistes et les pharmaciens à l'implantation d'une université portugaise sur le sol français.
On peut le dire : c'est une véritable déclaration de guerre. Pensez donc ! Point Vision est une toute récente chaîne de cabinets médicaux créée en 2012 par le docteur François Pelen et ses associés, qui emploie une soixantaine de salariés à Paris, Lyon et Bordeaux et qui permet à tout patient d’obtenir un rendez-vous avec un médecin ophtalmologue en moins d’une semaine, au tarif de la sécurité sociale (secteur 1). Cela marche si bien qu'elle prévoit même l'ouverture d'un quatrième centre, à La Défense. Il était urgent d'agir tant pour éviter des créations d'emplois aussi indécentes que pour conserver de sains délais d'attentes (de plusieurs mois parfois) pour les Ophtalmos, et leur permettre ainsi de conserver des tarifs et une clientèle parfaitement captive.
Encore une fois, c'est en partant du constat que ces files s'allongeaient et qu'il y avait une forte demande pour des séances d'ophtalmologie à prix décent et dans des délais rapides que le Dr Pelen et ses associés ont eu l’idée de créer cette enseigne. L'astuce, pour arriver à rentrer dans leurs frais est de séparer l'activité purement médicale de l'activité d'optométrie réalisée par des orthoptistes diplômés travaillant sous la responsabilité de l'ophtalmo.
Le succès fut à la fois prévisible et rapide, la demande et la frustration des patients étant déjà arrivée à un point élevé. Et qui dit succès, en France, dit à la fois suspicion, jalousie et intervention immédiate au choix des autorités compétentes ou des corporations de contrôle : l’Ordre des médecins a refusé d’autoriser Point Vision à exercer, au motif que ces vilains médecins qui répondent ainsi violemment à la demande du marché s'inscrivent de fait dans une démarche commerciale. En France, pour rappel, c'est un délit. Quant à posséder plusieurs cabinets médicaux, pour un investisseur, c'est parfaitement interdit. Les créateurs de Point Vision ont donc modifié les statuts de leur société en GIE (groupement d’intérêt économique), dont le but consiste à apporter assistance à des centres indépendants entre eux, changement qui n'a bien sûr pas convaincu l'Ordre.
Tout comme pour Séphora, Leroy-Merlin, Castorama, et tant d'autres, on comprend très bien que le combat acharné des conservateurs, arc-boutés sur des principes dépassés, contre le développement de cette nouvelle forme de services aboutira immanquablement à une diminution générale du bien-être de la population.
D'un côté, les consommateurs de ces services seront, encore une fois, frustrés et directement lésés. Ils devront s'organiser autrement ou, pire encore, laisser tomber purement et complètement l'idée qu'ils avaient en tête. Combien de clients perdus, combien de richesses auront ainsi annihilé les corporatismes déplacés, les syndicalismes rétrogrades et les lois gouvernementales débiles ?
De l'autre, des emplois ne seront pas créés, certains seront même supprimés. La société devra, à nouveau, faire face à une augmentation des prestations d'accompagnement des nouveaux chômeurs, ou s'évitera -- par le travail de sape de ces saboteurs -- la création de débouchés alors que la période de crise actuelle devrait au contraire les faire réfléchir. Et pour en revenir au cas spécifique de Point Vision, ce combat lamentable contre des prix abordables et des délais décents aboutira à la perpétuation de la hausse des dépassements d’honoraires des ophtalmologistes français.
Au moment où le gouvernement prétend lutter contre les déficits de la Sécu, cette histoire est parfaitement délicieuse.
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