Paris a pâli. Les marrons se détachent dans le petit matin frisquet. Leurs bogues au ventre encore vert, largement fendu, jonchent les graviers des Tuileries. Leur nombril large et fariné s’efface sous les doigts. Tout frais éclos, le cuir du fruit aux couleurs de havane et de bois ciré montre une gaine lisse, dont les coutures miraculeuses donnent foi en un dieu gantier, aux talents perpétuels. Les rues ont perdu leur hâle, les parisiens glanent un coin de soleil aux angles des terrasses ventées.
La rentrée est passée, l’anniversaire du 11 septembre a laissé des militaires discrets en faction. Rue Cambon, rue du Monthabor, au reflet roide des vitrines, leurs couleurs d’automne, leurs treillis ajustés, le fusil noir de leurs regards ont un air couture. Les nouvelles sont laides. Elles nous « préparent au pire ». Je traverse la Place de la concorde. Devant moi, la triste perspective des Champs-Élysées s’engouffre et disparaît sous l’arc de Triomphe. Dans ma main, la perfection du marron fait rebondir les battements de mon coeur.
Contente-toi de savoir que tout est mystère :
la création du monde et la tienne,
la destinée du monde et la tienne.
Souris à ces mystères comme à un danger que tu mépriserais.
Omar Khayyam, Iran, 12e siècle.
Par l'anachroniqueuse
[Première parution en septembre 2007]