Un lac rond. Brillant comme une lune pleine. Un lac que le voyageur téméraire découvre un jour ou l’autre au hasard des sentiers. Pour s’y rendre, il faut marcher. Longtemps marcher sous le couvert des arbres. Marcher jusqu’où les épinettes poussent si rapprochées les unes des autres que le vent arrive à peine à secouer leurs cimes. Marcher jusqu’où les traces des humains rejoignent celles des bêtes… Jusqu’où elles se perdent.
Dans ces lieux il ne faut s’aventurer qu’au mitan de l’été, car, là-bas, même dans le ciel trop bleu d’un beau jour de juillet, les nuages en balles de neige se bousculent et s’impatientent. Car, là-bas, l’hiver n’est jamais très loin.
Ce n’est qu’après avoir escaladé des montagnes, traversé des vallées, des marécages, et des tourbières, foulé l’humus, le lichen et la pierre. Ce n’est qu’après avoir longtemps erré à travers les forêts. Erré jusqu’à s’y perdre que le voyageur découvre enfin devant lui, par-delà les broussailles, une éclaircie. Et en passant brusquement de la pénombre à la lumière trop vive d’un ciel d’été, il se surprend à ouvrir grand les yeux. Ébloui.
Mais quel est donc ce mirage qui surgit devant lui au moment même où, fourbu et tenaillé par la soif, il s’apprêtait à rebrousser chemin ?
À première vue le paysage n’offre rien de particulier. Un lac. Un lac cerné par des forêts d’épinettes. Un lac comme il y en a tant. Rond, silencieux, immobile. Si immobile qu’aucune vague ne vient rider sa surface. C’est tout de même à petits pas prudents que s’avance le voyageur. Pourtant rien dans le paysage aux alentours ne laisse présager de la profondeur du lac. Cependant, par-delà les broussailles, le rivage semble abrupt. Mais n’y a-t-il pas, là-bas, un peu plus loin, un rivage plus accueillant ?
Sitôt il s’y précipite pour s’accroupir au bord du lac, les mains en coupe, prêtes à y puiser de ses eaux. Et soudain ébahi, il suspend son geste.
Mais quel est donc ce mirage qui surgit devant lui au moment même où il allait enfin pouvoir étancher sa soif ?
À première vue le paysage n’a pas changé. Un lac. Un lac cerné par des forêts d’épinettes. Un lac comme il y en a tant. Mais un lac qui semble maintenant accueillir dans ses eaux, inversé, tout le pays alentour. Un lac où il suffirait de plonger pour aller toucher le ciel en effleurant au passage les cimes des épinettes.
« Comme il serait bon, après avoir si longtemps marché, de connaître enfin un moment d’ivresse en apesanteur », se dit alors le voyageur.
Mais sitôt il perd pied, il bascule, il chute. Le temps de voir se rider la surface de l’eau, de voir se bousculer dans le bleu du ciel les nuages en balles de neige, de voir s’agiter les cimes des épinettes, de voir s’obscurcir le lac miroir et, prise dans la glace, l’image inversée du pays tout autour se refermer sur lui.
Il chute et chute encore pendant que ses pieds essaient en vain de toucher le fond du lac dans l’espoir de pouvoir rebondir.Il chute et chute encore jusqu’à ce que transi, le cœur affolé, saisi d’une peur primitive, il abandonne…
Un lac rond. Brillant comme une lune pleine. Un lac que le voyageur téméraire découvre un jour ou l’autre au hasard des sentiers. Un lac où il ne faut s’aventurer qu’au mitan de l’été, car, là-bas, l’hiver n’est jamais très loin.