Le spécialiste de Mai 68 raconte
Qu’est-ce qui vous a conduit à publier un livre richement illustré ?
Patrick Rotman : Je suis à la fois un homme de
l’image et de l’écrit. J’ai voulu offrir plusieurs niveaux
de lecture, afin de raconter une décennie qui
court du milieu des années soixante au milieu des
années soixante-dix, afin de montrer ce qui a bougé
dans tous les domaines : le champ politique et social,
bien entendu, mais aussi le cinéma, la musique,
les loisirs, la mode, les moeurs. La gestation de
Mai 68 se trouve autant dans la caméra de Godard
que dans les chansons de Dutronc ou de Polnareff.
Rétrospectivement, la lecture du Journal officiel
promulguant la loi Neuwirth sur la contraception,
que je reproduis dans le livre, est tout à fait stupéfiante. J’ai choisi des documents et des témoignages
qui restituent une époque dans toutes ses
dimensions. On rencontre aussi bien Che Guevara
que de Gaulle, les héros célèbres ou anonymes de
Woodstock que les militantes proavortement.
Quarante ans plus tard, quel est l’héritage ? Qu’est-ce qui a
passé la barrière du temps ?
Patrick Rotman : Je défends l’idée qu’il s’agit d’un moment
historique terminé. Nous avons bel et bien changé de siècle.
Mais le féminisme, par exemple, est entré dans les moeurs.
Les documents d’avant-68 montrent une image de la femme
qui n’aura plus cours après. De même, sur le front musical,
cette période me semble indépassable en termes de créativité,
avec les Beatles, les Stones, mais aussi les Doors,
David Bowie, Lou Reed ou Jimi Hendrix qui font partie
de notre patrimoine. L’écologie aussi prend forme à cette
époque, avec des mots d’ordre qui semblent très contemporains.
En revanche, ce qui a disparu, c’est la passion
révolutionnaire et l’utopie, qui ont marqué si fortement les
esprits pendant une décennie.