Jimmy Picard est un indien Blackfoot à la stature imposante et à la diction hachée particulière. Intimidant et costaud, sa faiblesse vient de l’intérieur et se manifeste par de terribles maux de tête. Soutenu et épaulé (au sens presque littéral aussi) par sa soeur ainée, ils partent demander conseil à l’hôpital militaire du Docteur Minninger, à Topeka au Kansas.
Nous avons noté précédemment sur les écrans d’ouverture la mention qui précise qu’il s’agit d’une histoire vraie. Arnaud Desplechin s’inspire et adapte le livre “Psychothérapie d’un indien des plaines” publié en 1951 par l’anthropologue et psychanalyste Georges Devereux. Il s’agit d’une analyse détaillée qu’il a mené auprès d’un patient auquel il s’est attaché. Avec finesse et intelligence, Arnaud Desplechin mène l’intrigue, sans tomber dans les lieux communs des films psychologiques et déjouant nos attentes. Ici les ingrédients cinématographiques sont distillés avec parcimonie, des effets spéciaux pour traduite la cécité passagère du héros qui n’excèdent pas, au crises et au diagnostic psy qu’on attend. Avec une grande justesse, il se “contente” de dépeindre la souffrance, physique comme psychique de son héros, dans un grand dénuement d’effets scénaristiques. il n’y aura pas de rebondissements, de scènes impressionnantes, c’est par le dialogue essentiellement l’histoire se joue. Sans verser dans des travers déjà-vus donc, l’intrigue se fraie un chemin sur deux voies : celle qui dénoue la psychologie de Jimmy P, et celle relie Jimmy à son médecin dans une relation particulière d’amitié.
Ce médecin alternatif, Jimmy le rencontre après avoir effectué une batterie d’examens auprès de spécialistes dont le diagnostic s’avère nul. Rien n’est anormal dans son corps. Le jeune psychologue de l’hôpital fait état de ses troubles et rapporte que le patient n’a pas voulu se prêter au jeu de l’examen. Jimmy évoque ses rêves, ses cauchemars et cela l’oriente naturellement vers une voie psychiatrique. Les médecins font appel à Georges Devereux, anthropologue, spécialiste des Indiens Mehave avec lesquels il a vécu. Il manifeste son impatience à l’idée de rejoindre Topeka pour venir y soigner Jimmy. Ce que laisse entendre son enthousiasme c’est aussi la perspective du poste sur lequel il désire être titularisé apparaître, même si Minniger lui dit qu’il n’y a aucune chance.
Georges est passionné, amoureux des mots, des troubles, il aime dénouer les rouages de la psychologie de son patient. De Jimmy, il retient d’emblée son nom indien, qu’il note avidement sur son carnet, comme « celui dont tout le monde parle ». Vivement intéressé par la culture de son patient, ses croyances, il l’apprivoise avec délicatesse. L’échange commence à se faire avec un langage commun, les mots prononcés par Jimmy sont notés avec fidélité, et les mots dans le dialecte de Jimmy sont consignés comme des trésors dans le calepin du docteur. Le rapport se noue lentement, car Georges retourne la situation, parlant vite, gesticulant, et s’enrhumant. A la question « Comment ça va ? » posée par Minniger, Jimmy P répond alors, « il va mieux » parlant de Georges.
Peu à peu, se crée la relation et même la dépendance qui se manifeste par une sorte d’affection. Jimmy est le seul patient de Georges et lui donne une raison d’être. Les consultations finies, Georges raconte qu’il « tourne dans sa maison comme un lion en cage », et il espère pouvoir arriver à une titularisation. De l’autre côté, Jimmy voit en Georges et sa méthode, un moyen de déjouer ses angoisses. En filigrane, se lit une histoire semblable, l’ombre du génocide, pour le médecin qui cache ses origines juives en se faisant passer pour un français, la Shoah, pour l’autre le massacre des Indiens d’Amérique. C’est d’ailleurs davantage sur ce point là, la question des Indiens d’Amérique, que l’on apprend davantage dans le film que sur la pathologie.
Ici il n’est pas besoin d’insister sur les mirages ou le diagnostic facile de la schizophrénie. On mesure la douleur de Jimmy, et le refuge qu’il trouve dans l’alcool. Autre similitude, le rapport que les deux hommes ont aux femmes. Pour Georges, un rapport qui est une nécessité vitale mais pas une priorité, et pour Jimmy le cœur même de ses angoisses. C’est par là justement que Georges effectue le travail, tire les ficelles lentement, conseille son patient, devenu son ami.
Dans le film, les deux acteurs sont puissants. Le rôle est parfait pour Benicio Del Toro qui se révèle touchant sous son apparence robuste et inaccessible. Cela change de son image habituelle. Face à lui Mathieu Amalric est parfait, en docteur bavard et léger. Tous deux donnent corps avec force à leurs personnages, les incarnant avec justesse.
A voir :
Jimmy P, un film d’Arnaud Desplechin (1h56)