d’un homme que je ne connais pas,
qui jamais ne fut tant moi-même
que depuis que je le cherche.
A-t-il mes yeux, mes mains
et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps ?
Saison des mille naufrages,
la mer cesse d’être la mer
devenue l’eau glacée des tombes.
Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
Une fillette chante à reculons
et règne la nuit sur les arbres,
bergère au milieu des moutons.
Arrachez la soif au grain de sel
qu’aucune boisson ne désaltère.
Avec les pierres, un monde se ronge
d’être, comme moi, de nulle part.
*
I’m looking for
a man I don’t know,
who’s never been more myself
than since I started to look for him.
Does he have my eyes, my hands
and all those thoughts like
flotsam of time?
Season of a thousand wrecks,
the sea no longer a sea,
but an icy watery grave.
Yet farther on, who knows how it goes on?
A little girl sings backward
and nightly reigns over trees
a shepherdess among her sheep.
Let us wrench thirst from the grain
of salt no drink can quench.
Along with the stones, a whole world eats
its heart out, being
from nowhere, like me.
***
Edmond Jabès (1912-1991) – Chansons pour le repas de l’ogre (1943-1945) – Traduction en anglais de Rosmarie Waldrop