La Lune
Dans la nuit qu’elle argente avec son regard blanc,
Faisant hurler les chiens et chanter les poètes,
La lune pend, légère, ainsi qu’un cerf-volant.
Au milieu des tuyaux longs et des girouettes
Qui dentellent les toit blancs de leur profil noir,
Chagrine, elle poursuit les chattes inquiètes,
En guettant les matous lascifs qui vont s’asseoir
Au bord de la gouttière, elle monte la garde
Devant ces diamants, les étoiles du soir.
Voici l’astre aux blancheurs métalliques qui farde
De craie, au fond du ciel, son masque glacial,
La lune pâle et ronde, attirante et blafarde,
Comme un suave écu de cent sous idéal.
Louis Denise, Les poèmes du Chat Noir, 1881-1886
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Chats de partout
Je suis le chat de cimetière,
De terrain vague et de gouttière,
De Haute-Egypte et du ruisseau
Je suis venu de saut en saut.
Je suis le chat qui se prélasse
A l’instant où le soleil passe,
Dans vos jardins et dans vos cours
Sans avoir patte de velours.
Je suis le chat de l’infortune,
Le trublion du clair de lune
Qui vous réveille dans la nuit
Au beau milieu de vos ennuis.
Je suis le chat des maléfices
Condamné par le Saint-Office ;
J’évoque la superstition
Qui cause vos malédictions.
Je suis le chat qui déambule
Dans vos couloirs de vestibules,
Et qui fait ses petits besoins
Sous la porte cochère du coin.
Je suis le félin bas de gamme,
La bonne action des vieilles dames
Qui me prodiguent le ron-ron
Sans souci du qu’en dira-t-on.
Epargnez-moi par vos prières
Le châtiment de la fourrière
Où finissent vos émigrés
Sans demeure et sans pedigree.
Henri Monnier, Les chansons du Chat Noir, 1881-1886
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Le Chat
Le mien ne mange pas les souris ; il n’aime pas ça.
Il n’en attrape une que pour jouer avec. Quand il a bien
joué, il lui fait grâce de la vie, et il va rêver ailleurs, l’innocent,
assis dans la boucle de sa queue, la tête bien fermée comme
un poing. Mais à cause de ses griffes, la souris est morte.
Jules Renard, Histoires Naturelles, 1896
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Entrechat
Longue oreille, des crocs intacts, des vrais ivoires,
Le corps svelte quoique râblu,
Son beau pelage court et gris à barres noires
Lui faisant un maillot velu ;
Des yeux émeraudés, vieil or, mouillant leur flamme
Qui, doux énigmatiquement,
Donnent à son minois le mièvre et le charmant,
D’un joli visage de femme.
Avec cela rôdeur des gouttières, très brave,
Fort et subtil, tel est ce chat,
Pratiquant à loisir le bond et l’entrechat,
Au grenier comme dans la cave.
Maurice Rollinat, Les Bêtes, Etude de Chat, 1911
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