La passe d’armes entre deux ministres du gouvernement, Manuel Valls et Cécile Duflot, à propos de la situation des Roms dans notre pays démontre une fois de plus, si besoin en était, que la majorité arrivée au pouvoir il y a un peu plus d’un an n’a toujours pas réglé un certain nombre des ambiguïtés sur lesquelles elle est bâtie.
La pluralité nécessaire, à gauche, à la fois pour gagner les élections et gouverner (aucun parti ne pouvant l’emporter seul et les « familles » de la gauche étant très diverses) ne saurait cependant se résumer à un pugilat permanent dans lequel chacun ne cherche que la satisfaction immédiate de ses convictions politiques (au mieux) ou de ses intérêts partisans ou personnels (au pire). Le compromis dans la situation actuelle est non seulement souhaitable mais indispensable entre les différentes composantes de la gauche de gouvernement – on remarquera d’ailleurs au passage que concernant les Roms, il avait été atteint au sein du gouvernement par la circulaire du 26 août 2012.
C’est ce qu’oublient très ostensiblement certains responsables du parti écologiste alors que leur formation, EELV, traverse une crise profonde, mais ils ne sont pas les seuls. Cela arrive au sein même du PS, notamment à l’occasion de la publication de ces innombrables tribunes et appels de parlementaires exigeant tel ou tel changement de politique de la part de l’exécutif. On peut y déceler un grave défaut du fonctionnement de la majorité et des partis eux-mêmes vidés de leurs forces vives, mais on peut aussi y voir une diminution préoccupante du sens de l’Etat ou de l’intérêt général chez les responsables politiques appelés à gouverner. Et malheureusement, le sujet « Roms » illustre parfaitement toutes ces difficultés.
L’importance qui lui est donnée est en effet paradoxale. S’il y a bien une question, complexe, de politique publique qui se pose à propos de la gestion des populations roms (logement, école, santé, emploi, politique européenne, sécurité…) présentes sur le territoire national, il semble toutefois difficile de croire que la polarisation du débat sur cette question puisse apporter une quelconque solution aux difficultés économiques, sociales et « identitaires » que traverse le pays. Non tant en raison de la faiblesse du nombre de Roms présents en France (entre 15000 et 20000) ou de leur concentration sur des territoires peu nombreux (Seine-Saint-Denis, Lille, Lyon) comme on l’avance parfois, que parce qu’il s’agit d’un cas très spécifique que ce soit en termes de politique de l’immigration ou d’accès à l’emploi.
C’est d’ailleurs en cela que le ministre de l’intérieur a eu raison, à plusieurs reprises, de souligner les spécificités du cas des populations roms (citoyens européens, conditions de vie dégradées, volonté de pouvoir circuler librement sans tenir compte des frontières ni des particularités des pays d’accueil, difficultés d’insertion dans l’emploi, taux de délinquance élevé, etc.) et d’appeler l’attention sur celui-ci alors que certains voudraient le banaliser et ne le voir aborder que sous l’angle du racisme et de la stigmatisation – qui existent certes mais qui n’épuisent pas le sujet. On peut en revanche douter de l’efficacité et de la pertinence des récents propos du même ministre qui a érigé les spécificités sociales et économiques des Roms en critères identitaires, et ouvert ainsi une polémique de plus au sein de la gauche.
On peut supposer que l’approche d’élections municipales (mars 2014) qui s’annoncent catastrophiques pour le PS et la gauche (majorité au pouvoir, nombre important de villes détenues, poussée du FN…) inquiète, légitimement, les plus lucides et les plus concernés au gouvernement et au PS, mais la sensibilité du cœur de l’électorat de gauche aux questions identitaires demeure très forte, et il est risqué de négliger une telle dimension. Elle agit en effet comme le dernier rempart de l’unité alors que tout le reste, notamment en matière économique ou européenne, est tombé depuis longtemps. Ce n’est certes pas de bonne augure mais c’est ainsi, et c’est une dimension à ne pas minorer dans la perspective d’élections où le PS et la gauche ne pouvant espérer gagner de nouveaux électeurs devront à tout le moins éviter d’en perdre… trop.
Pointer ainsi le projecteur sur les Roms présente un autre défaut : donner le sentiment aux Français, une fois de plus, que le gouvernement ne s’occupe pas de l’essentiel mais qu’il consacre son temps à l’accessoire – le tout agrémenté d’affrontements entre ministres et de sommations au président de la République pour qu’il tranche ! L’impression est fâcheuse, depuis des mois, d’une forme de diversion permanente de l’exécutif comme d’une partie des parlementaires et des responsables de partis qui apparaissent comme davantage préoccupés par leur position relative dans le dispositif et leur avenir politique que par la situation du pays et de ses citoyens. C’est cela qui risque bien d’être sanctionné dans les urnes, bien plus qu’une orientation politique qui serait claire, précise et assumée, et surtout, durablement commune à toute la majorité.
La désunion affichée à tout propos et entre tous, les menaces de « sortie du gouvernement » proférées tous les deux jours, les ambitions à la petite semaine, le goût inconsidéré pour les jeux intrapartisans, l’absence de clarté dans les décisions prises et de lisibilité dans les politiques suivies ou encore les revirements à vue au premier haussement de sourcil de tel ou tel lobby, voilà ce qui plombe depuis des mois l’action de cette majorité.
Les électeurs qui seront appelés à se prononcer à plusieurs reprises en 2014 et 2015 ne manqueront pas de le rappeler. Il sera alors bien tard pour le regretter et changer d’attitude. Si l’affaire des Roms qui a empoisonné l’atmosphère ces derniers jours pouvait servir d’ultime signal d’alerte, elle aurait eu, au moins, cette utilité là.
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