Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 15 septembre 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

 Ça s’est mal passé.  On lui a dit, souvent, que les premières fois c’était pas terrible.  Mais à ce point.  À ce point, quand même, il ne pensait pas.  Violette trop serrée, trop stressée, lui trop maladroit, trop puceau.  Au début, pourtant, cela promettait.  Les caresses lestes, la sensualité jeune, le cœur qui bouillonne pendant que le corps frôle l’évanouissement d’imaginer l’extase.  L’affolement.  La moiteur.  Les peaux emmêlées.  Le parfum de Violette.  Le silence loquace.  Dans la chambre sombre, tout allait pour le mieux, jusqu’à l’étrange instant.  Les doigts ont agi, les bouches ont découvert des contrées étrangères ; le cortège des caresses a accéléré le pas et le moment arrive où une part de l’enfance doit succomber à l’assaut de la volupté.  Dérapage.  Douleur pour Violette.  Effroi.  Il n’y arrive pas.  Ce n’est pas grave, réessaie.  Elle a mal.  Elle l’aime.  Ne pas rater la première fois.  Ne pas saccager le trésor qui doit rester gravé dans leurs deux mémoires.  Toujours pas.  Toujours douleur.  Il n’est pas doué.  Des baisers.  Les peaux en sueur – pas par plaisir, seulement par la déception, l’inquiétude.  L’échec se profile déjà, mais, désespérés, ils se battent, s’acharnent, orphelins du monde, personne pour les aider, personne pour rassurer, ils ne font qu’un, jusque dans l’erreur, ils sont la solitude, le rictus qui annonce les pleurs, l’étreinte qui scelle le fiasco.  Tout s’effondre dans ce monde où ils sont seuls.

 Arrêt des jeux.  Elle se blottit contre lui.  Il est tellement froid.  Tétanisé.  Mâchoires crispées.  Elle s’éloigne, sentant couler dans ses veines une inquiétante violence, contre lui, contre elle.  L’avenir est noir comme la chambre.  Ce sera peut-être la fin de leur histoire.  Quelque chose est brisé.  Ou ils continueront.  Une autre fois peut-être.  Ce sera merveilleux.  Ils ne le savent pas.  Pour l’heure il se déteste et la plaint.  Il ravale ses larmes – ce sera pour plus tard.  Pas devant elle.  Déjà qu’il a été nul, ne pas en rajouter.  Il rêve d’être quelqu’un d’autre.  Et ses copines, qu’est-ce qu’elle ira leur raconter ?

Il se lève avec la promptitude d’un animal blessé.  Elle se recroqueville.  Position du fœtus.  Gamine qui cache ses yeux.  Il ne peut pas.  La porte claque comme une gifle.  Il enfourche sa moto.

 Un quart d’heure plus tard, il percute un platane.  Mort sur le coup.  Pas de souffrance – autant en finir quand on est aussi nul.

Il a eu une dernière pensée.  Pour elle.  Pour ce corps qu’il adore et n’a pas su aimer.

Il était pétrifié par l’incapacité de faire machine arrière.

Il a accéléré parce que plus rien à foutre.  La mort comme une issue lui a tendu les bras.

Il est mort avec au bord des lèvres le dégoût de lui-même.

(Extrait d’un roman à paraître aux Éditions Philippe Rey en janvier.)

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)