A propos de l'auteur...
Jeremy Chambers est né en 1974 à Melbourne, où il réside toujours aujourd'hui. Après des études de lettres et de philosophie, il vit de plusieurs petits métiers : déménageur, livreur de journaux, vendeur de quincaillerie, boxeur amateur, ou encore saisonnier dans les vignobles de Victoria. En 1997, il est frappé par une maladie qui le rend incapable de supporter la lumière du jour et va l'obliger à garder la chambre pendant près de cinq ans. C'est des ces ténèbres immobiles que lui viennent, peu à peu, les souvenirs, les images et les mots qui composeront Le Grand Ordinaire, son premier roman.
Smithy doit arrêter l'alcool. Question de vie ou de mort. Alors forcément, sobre, il voit tout beaucoup plus clair. La lumière se fait sur lui, sur les autres et les événements. Pas d'un seul coup mais petit à petit. Elle se niche dans les failles, transperce les interstices pour offrir une vue d'ensemble qui n'a jamais été insoupçonnée. Au contraire, cette lumière, c'est la réalité. Celle que Smithy n'a jamais intégrée. Celle qu'il a fuit dans l'alcool.
Et il est courageux Smithy. On pourrait croire qu'il n'a plus le choix mais il accepte de prendre la voie la plus difficile. Celle des bilans, des vérités qui détruisent une vie parce qu'elle apparaît vide de sens.
Il y a quelque chose de Faulknerien chez Jeremy Chambers. Oui carrément. Cette façon de décrire le quotidien des travailleurs de la terre et des non-éduqués. Les mots sont rocailleux, habités par un mélange paradoxal de silences et de fureur. L'auteur en dit beaucoup avec peu. Par exemple, un personnage féminin n'a pas de nom, c'est « la femme de... ». Réduction qui en dit long, ici on ne possède pas grand chose, même pas son identité quand on est une femme.
Le bar est central, unique lieu de socialisation, témoin du profond désespoir d'une ville qui semble figée dans le temps. La seule distraction semble de boire son argent durement gagné, de s'abrutir jusqu'à ne plus tenir debout. Il ne se passe pas grand chose mais quelle force et quelle violence dans cet ordinaire si justement décrit.
Grasset , 312 pages, 2013, traduit de l'anglais par Brice Matthieussent
Extrait
« Et bien ça a causé ma ruine, je dis. La moitié de ma vie j'ai été pété et maintenant je me souviens presque de rien. Toutes ces années, parties en fumée. Je me souviens presque pas de ma vie. Parce que je l'ai bue, tu comprends. Et ça m'a bousillé à l'intérieur aussi, j'ai la santé foutue. (...) La moitié de ma vie à picoler, l’autre à bosser. Parce qu’on bosse seulement quand c’est la saison. On s’arrête sur un domaine, on trouve une ville, et puis on passe au domaine suivant. Mais en dehors de la saison on bosse pas. Inutile. La paie était bonne, à condition de bosser dur, assez bonne pour l’époque en tout cas. Suffisante pour nourrir ta famille, acheter une maison, tout ça. Hors saison, y avait rien d’autre à faire que d’aller au pub. Moi je fréquentais le pub depuis l’ouverture jusqu’à la fermeture. Je me cuitais tous les jours, je rentrais chez moi, je dînais, je me couchais. J’ai jamais passé de temps avec ma femme. Jamais vu le gosse grandir. Et aujourd’hui je regarde ma vie et je l’ai gâchée, pas vrai ? On n’a qu’une seule chance dans la vie et j’ai déjà bousillé la mienne. »
Pioché chez Cuné, merci !