Justice à tout prix
Mathieu est amer. Il aimerait bien obtenir justice. Mais il n’a aucune idée de l’identité de ses agresseurs qui ne paieront jamais pour ce crime gratuit. Il en veut à tous ceux qui sont passés près de lui sans broncher, le laissant dans sa mare de sang. Il a été reconnu comme victime d’un acte criminel par l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) qui lui a accordé 17 000$ pour des consultations psychologiques. Il n’a rien obtenu pour son incapacité physique qui le rend invalide à vie.
À ses frais, au coût de 600$, il a produit une expertise médicale pour démontrer que l’agression a causé sa sclérose. «Mes médecins, quatre neurologues, ont dit qu’il y avait une très grande probabilité que l’agression ait causé cette maladie dégénérative. Ils ne voient aucun autre événement dans mon dossier médical.» Devant le tribunal administratif de l’IVAC, l’expertise médicale doit être certaine à 100%. Une exigence impossible à remplir au sujet de la sclérose en plaques, une maladie dont personne ne connaît la source. «Mon cas est incompréhensible. Je déjoue les diagnostics. Après trois heures dans la neige, je devrais être mort. Si j’étais décédé, l’IVAC m’aurait dédommagé.»
La décision de l’IVAC assomme Mathieu. Déjà en choc post-traumatique pour son agression et son handicap, chaque coup dur amplifie son ressentiment et sa colère. Le jeune trentenaire veut réparation, mais n’accumule que des échecs. On le refuse à l’aide juridique, il n’a pas les moyens de s’offrir un avocat. Sans vraiment y croire, il a laissé son dossier au Protecteur du citoyen. «Je veux justice. Je suis vraiment fâché. Je me sens comme une bombe humaine. Je suis endetté, mes cartes de crédit sont remplies.»
Mathieu reçoit 60% du salaire qu’il recevait en 2004 de sa compagnie d’assurance et 300$ par mois de l’IVAC pour ses soins psychologiques. Ses revenus s’élèvent à 19 000$ par année. Le jeune homme sait qu’il ne pourra jamais gagner sa vie. Sa bataille contre l’IVAC, c’est sa survie financière qui est en jeu.
Handicap onéreux
Devenu handicapé, Mathieu s’est rapidement aperçu du coût qu’engendrait son état physique. Il lui fallait un logement adapté. Il énumère quelques exemples de ce dont il a besoin pour sa vie quotidienne. «Pour se brosser les dents, ça prend un lavabo avec de l’espace en dessous pour le fauteuil roulant. Pour la douche, il faut un lève-personne et un banc pour s’asseoir. Ça me prend un lit pour handicapé. C’est super cher!» S’il s’est senti impuissant et ignoré devant le tribunal de l’IVAC qui a refusé de voir un lien entre l’agression et la sclérose, Mathieu n’était pas au bout de ses peines. Comme personne handicapée, il s’est aussi senti démuni devant le ministère de la Santé et le CLSC qui s’occupe de son cas. Avant d’avoir accès à sa douche, Mathieu a dû attendre un an et demi. «Je ne sais pas combien de malades il y a au Québec, mais le gouvernement n’a jamais de budget.»
Mathieu a eu droit à des complications, pour sa douche. Quand son lève-personne est enfin arrivé, il s’est aperçu qu’il n’était pas fait pour lui. «On en a commandé un autre pour moi. Ce n’était toujours pas le bon. Mais là, on me dit que le CLSC est hors budget. Ce n’est pas mon erreur, mais c’est moi qui paie pour. Aïe, j’ai passé 18 mois sans prendre de douche. J’ai tellement crié pour en prendre une!»
Ce genre d’irritants, Mathieu les accumule. «Mon fauteuil roulant est trop petit. Ça fait 5 ans que je l’ai. On m’a dit que j’en aurais un autre. Mais il faut que j’attende 6 mois. Pendant ce temps, c’est moi qui suis pris à l’étroit.» Depuis qu’il est handicapé, Mathieu a l’impression de se battre pour exister. Il se sent comme un miséreux abandonné à son sort qu’on aide par pitié quand il n’y a rien d’autre à faire.
Cette impuissance, il la vit avec son logement adapté. Pendant trois mois, il n’a pu ouvrir la porte qui donne sur son balcon. Personne n’est venu réparer la seule porte de son appartement qui donne vers l’extérieur et qui permettrait de changer l’air chargé de la fumée du cannabis qu’il consomme à longueur de journée. «On m’a dit que la porte n’était plus sous garantie. L’immeuble a été construit par une compagnie qui a fourni le prix le plus bas et le moins bon produit. Il n’y a rien de durable, ici!»
Médicaments coûteux
Comme bien d’autres malades, le coût des médicaments grève son mince budget et fait monter son stress. Son médicament à lui, c’est la marijuana. Sans ce remède, Mathieu serait confiné à se tordre de douleur dans son fauteuil roulant. Il ne consomme pas pour fuir le cauchemar qu’est devenue sa vie. Mathieu fume joint par-dessus joint pour délier ses doigts. Pour lui, tout geste est un effort. De son fauteuil roulant, il égraine son herbe sur un plateau poussiéreux de pollen. Il utilise une rouleuse où il glisse son papier à rouler. Cette simple tâche lui demande un effort et une concentration considérables. Des gestes qu’il répète pourtant plusieurs fois par jour. Pour fumer, il enserre son joint entre des ciseaux, plus faciles à tenir, mais qui l’éteignent plus souvent. Et chaque fois qu’il le rallume avec son briquet, sa main lui fait mal.
Sa consommation lui coûte 15 000$ par année. Le gouvernement lui rembourse 20%, soit 3000$. Avec des revenus de 19 000$, il lui en reste peu pour vivre. L’endettement, pour Mathieu, est un problème omniprésent et les pistes de solution sont nulles.
Pour obtenir ce remboursement de 20%, Mathieu va chercher son cannabis dans des centres de distribution autorisés. Mais les descentes policières dans les centres Compassion, en 2010, l’ont empêché de recevoir cette déduction. «La police a conservé tous les dossiers. C’est injuste. Je pète les plombs, je n’en peux plus.» Mathieu est furieux contre le gouvernement du Québec qui accepte de rembourser une partie de ses dépenses de marijuana tout en fermant les endroits qu’il accepte pour remettre ses déductions.
Mathieu ne sait que faire. «Je n’ai plus de vie, je l’ai perdue dans l’accident. Je suis emprisonné dans ma chaise roulante. Je sens que je vais bientôt mourir. Je ne suis plus capable de rien, plus rien ne bouge. Mes mains, mes jambes, mes pieds: je suis comme un spaghetti. Mon tronc est en train de s’enfoncer. Ça va vite, la maladie.»
L’amour fout le camp
Dans une autre vie, Mathieu était le plus heureux des hommes. Il filait le parfait amour avec une jeune femme avant d’être tabassé sévèrement. Par amour, ils se sont mariés après l’agression. Ils auront une fille. Un enfant conçu comme un don offert à la vie.
Mais la maladie qui affecte Mathieu aura raison de cette vie idyllique. Après 6 ans passés à prendre soin de son époux immobile et démoralisé, sa conjointe le quitte et demande le divorce. Mathieu est dévasté. Il pense mettre fin à ses jours.
«Elle m’a dit qu’elle n’était plus capable. J’étais trop malade: incontinent, dur à laver, incapable de marcher. Pour les raisons du divorce, elle a indiqué que j’étais trop handicapé. Pas qu’elle ne m’aimait plus. Simplement que j’étais trop difficile à vivre.»
Mathieu encaisse le coup difficilement. «Elle a commencé à me faire de la violence physique et psychologique. Elle levait mes jambes bien hautes et les laissait retomber. C’était rendu que j’avais peur d’aller me coucher. Car c’est là qu’elle pétait sa coche. Elle vivait une dépression.» Sa conjointe est débordée. Elle doit s’occuper d’un enfant en bas âge et d’un adulte invalide qui n’est d’aucun secours pour les charges familiales.
L’appartement est dans un état insalubre. En découvrant des couches sales dans le linge à laver, des préposés portent plainte. La conjointe de Mathieu est au bout du rouleau. «Ce n’était pas sa faute. Elle partait travailler à 7 heures et rentrait à 19 heures. Elle devait se lever la nuit pour la petite, elle s’occupait de moi.»
Mathieu est totalement dépendant de sa conjointe. Il est incapable de garder leur enfant, faire à manger, le ménage ou rapporter de l’argent à la maison. Il n’arrive même pas à se laver seul. Il marche constamment sur des œufs pour éviter la catastrophe. Surtout, il veut épargner à sa fille les crises conjugales. Il doit refouler ses plaintes, sa colère, et encaisser les débordements de son épouse.
Le 12 juin 2010, Mathieu dit adieu à sa petite famille et quitte l’appartement de Longueuil. Il comprend la décision de sa conjointe. «Elle m’a donné un bon support. Je ne lui en veux pas, je sais que c’est terminé. Mais mon amour pour ma fille, lui, ne disparaîtra jamais.»
Si Mathieu est rejeté par sa conjointe, il sent la même attitude auprès de ses proches et de sa famille. Mathieu pense être devenu un objet de honte pour sa famille. «C’est comme si on m’en voulait. Comme si c’était moi le criminel. Mes proches sont écœurés de m’entendre me plaindre.»
Traité comme un bébé
Mathieu s’est déniché un loyer dans un immeuble adapté pour personnes handicapées à Montréal. «J’aurais préféré à Longueuil pour être plus près de ma fille mais je n’ai rien trouvé. C’est super dur. Je suis passé à un cheveu d’aller en centre d’hébergement. Là, tu ne décides de rien. Ce n’est pas ta bouffe, tu es lavé deux fois par semaine. Toi, tu prends ta douche à tous les jours? Pourquoi un handicapé ne le pourrait pas?»
Seul dans son appartement, Mathieu ne peut subvenir à ses besoins sans l’aide de préposés qui le lèvent et le couchent à tous les jours. Le jeune homme ne choisit pas l’heure à laquelle il se lève ni quand il va dormir. «Le soir, il vient à 20h30. Même si je voulais me coucher plus tard, je ne pourrais pas. Et le matin, on vient me lever à 8h. Si j’avais envie de faire la grasse matinée, ce serait impossible.» Mathieu a beau être un adulte, il est traité comme un enfant qui ne décide de rien.
Pour prendre sa douche, il a besoin d’aide. «J’ai besoin de la prendre une fois par jour. Je n’ai pas le choix, j’ai un problème d’incontinence majeur. Je me réveille la nuit avec des cauchemars. Dormir, c’est l’enfer. J’ai mal, je tremble, j’ai des spasmes. Et je suis seul.» À chaque jour, Mathieu appréhende le moment d’aller au lit, période d’angoisse extrême pour lui. «Chaque fois que je me couche, je me demande si je vais me réveiller le lendemain. Et quand je me réveille, je me pose toutes sortes de questions. Suis-je encore en vie? Est-ce vrai ce qui m’arrive?»
Un matin, il a attendu la venue de son préposé jusqu’à midi. Il téléphone au CLSC pour y apprendre qu’on l’avait oublié. Quatre heures prisonnier d’un lit, à attendre pour éviter d’avoir l’air de se plaindre. Lorsque le préposé, dépêché à toute vitesse, est débarqué, Mathieu s’est senti intimidé. En se faisant demander comment il allait, d’un ton menaçant, il a répondu qu’il avait envie de se jeter en bas du 3ème étage. Le préposé a appelé au CLSC pour qu’un intervenant s’occupe de ses idées suicidaires. «Comment j’aurais pu me jeter par la fenêtre? Je suis en chaise roulante, j’ai besoin d’aide pour me sortir du lit… » Mathieu en profite pour dire à l’intervenant qu’il trouve le préposé violent. Le préposé l’a mal pris. «Je suis violent moi? Tu vas voir quand je vais te laver», lui aurait-il dit. Mathieu a eu peur. Il s’est senti à la merci d’un homme qu’il ne connaît pas.
Le CLSC lui accorde un préposé pour 6 heures de nettoyage par semaine, incluant le lavage. Il fait coïncider les visites de sa fille avec la présence de ce préposé, incapable d’assurer une supervision parentale minimale.
Mathieu songe à une opération miraculeuse. Au coût de 6800$, la chirurgie qui, croit-il, lui permettrait de retrouver ses sens, est offerte aux États-Unis. Ottawa vient de s’ouvrir à l’idée de financer des essais cliniques. Pour combler un mauvais drainage sanguin au cerveau, les traitements à l’étude débloqueraient des veines à l’aide d’une prothèse vasculaire. Mathieu ne voit aucune autre issue. Il compte sur l’opération pour se rétablir. Il vit d’espoir, c’est tout ce qui lui reste. Et, encore une fois, il ne décide pas de son sort.
Mais il s’accroche en pensant à sa petite fille. «Je pense que je vais m’en sortir, mais c’est long.»
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