C’est une belle terrasse avec vue sur une partie de la ville au premier plan et les collines de garrigues en arrière plan. Orientée sud-ouest, elle reçoit comme un assommoir le soleil de cet après-midi de fin septembre. Pas fous, les ados du lycée d’à côté l’ont désertée cet après-midi, au profit de l’intérieur climatisé. Chaque groupe, chaque clan peut être, est rassemblé, dans les quatre coins de la salle, davantage autour des smartphones que des verres de sodas vidés. Il règne la fausse sérénité des salles de permanences à moitié remplies d’élèves qui s’auto-dispensent de travail au profit de discussions à voix basse dont on peut attendre une explosion de rires et interjections à tout moment. Il y a bien un con dont il faut se moquer pour se rassurer soi-même au seuil de la majorité déterminé à 18 ans par… Qui ça déjà ?
Je dois les interpeller autant que Valéry Giscard-d’Estaing que je suis peut être le seul à pouvoir reconnaître si un des smartphones venait à en diffuser l’image. Aucun risque. Tout juste ai-je droit à de furtifs regards de curiosité rapidement désintéressés par ce mec qui fait tout de même intrusion dans cet environnement refroidi. Je sens les courants d’air froids des douves générationnelles dont j’essaie de faire abstraction. Je passe commande. Deux ou trois s’aventurent près de moi au comptoir. Ils sentent le cours d’E.P.S. récent, ou les salles de cours moins climatisées que la salle, crient poliment une soif de verre d’eau que les smartphones n’ont pu satisfaire, pas plus que les sodas vraisemblablement en quantité insuffisante. L’employée disciplinée se soumet aux règles de sa hiérarchie : ils n’ont pas passé commande donc elle ne peut leur servir de verres d’eau. Aucune rébellion agressive juvénile mais de la suite dans les idées, ils reviendront à charge tour à tour, accompagnés de celle qui a bien commandé peut être les deux ou trois sodas pour dix :
« On peut avoir des verres d’eau s’il vous plait ? »
Sans irrespect, de ce que j’ai pu voir, l’autorité de la serveuse s’émoustille autant que sa patience et sans doute sa fierté. Elle remplit une dizaine de verres d’eau à la chaîne. A travers leur employée disciplinée, la hiérarchie sans doute plus vieille, se ridiculise face à la soif de vivre de ces jeunes clients.
Comme eux, je squatte une table à l’intérieur. A la différence d’eux, je n’aurais pas insisté pour obtenir mon verre d’eau mais parce que j’ai moi aussi, comme cette employée, subi les principes des dirigeants, qu’une réalité du terrain rend humiliants.
Sans aucun fracas, ils finiront par aller squatter quelques minutes les rambardes de la terrasse ensoleillée pour y fumer leurs clopes, avant de repartir vers leurs obligations lycéennes, me laissant seul comme un con avec la clim et ma faim de 15 h 00, pas très mature. Serait-ce un moyen plus ou moins conscient de me rassurer sur des restes d’adolescence ? Faim rassasiée au bout de mon deuxième Big Tasty : l’employée, les jeunes, et moi même, sommes juste venus comme nous étions, dans ce restaurant Mc Donald’s.