Il est difficile pour un éditorialiste, connu pour avoir partagé le combat d’un homme politique, d’analyser les déclarations et le bilan dudit responsable public. Son opinion sera rarement qualifiée d’objective. Son écriture tremblera toujours sous le poids du soupçon.
J’ai aimé (et j’avoue, à mon corps défendant, aimer encore !) la voix et la musique de Youssou Ndour. D’un amour tardif d’immigré que les vicissitudes de l’exil ont permis de dépasser l’indifférence au laudateur qu’il était dans ses premières années. D’un amour tyrannique sans doute où l’on refuse que l’Autre ne change. Sincère attachement à la sagesse des paroles que de formidables compositeurs ont dessiné pour une si merveilleuse voix. Vibré physiquement au rythme de cet instrument du paradis (ou de l’enfer) qu’est le Tama.
Mais profonde révulsion devant les méthodes et la violence des moyens mis en œuvre pour arriver au pouvoir. Cela me vaudra un retrait volontaire, douloureux mais déterminé de son mouvement mort-né (Fekke Maci Boolé), juste avant que l’actuel Président n’en fasse un Ministre de la Culture au lendemain des élections historiques de mars 2012. Aucune gloire ni aucune vanité ne sauraient accompagner une décision adulte et responsable. De la même façon que j’ai combattu le Président Abdoulaye Wade après qu’il m’ait soutenu dans le combat pour la mémoire en faisant voter par le Sénégal la première loi africaine qui déclare la traite des noirs et l’esclavage crimes contre l’Humanité, il n’était question que d’éthique et d’honnêteté incompatibles avec mon expérience auprès de Youssou Ndour.
Qu’est ce qui peut bien justifier le maintien de Youssou Ndour au gouvernement de Macky Sall ? De Ministre de la Culture à Ministre d’Etat Conseiller du Président de la République en passant par le Ministère du Tourisme, qu’est ce que la « star planétaire », roi jadis incontesté du Mbalakh, apporte à la Nation sénégalaise ?
Au Président Macky Sall et à sa coalition, il y a sans aucun doute une douloureuse mais irresponsable soumission à la réalité incontournable qu’est devenu le Groupe Futurs Médias.
Propriétaire d’une télévision (TFM), d’une radio (RFM) et d’un quotidien (L’Observateur) parmi les plus suivis au Sénégal, Youssou Ndour est à la tête d’un formidable instrument d’information mais surtout de propagande et de combat entièrement acquis à sa cause. L’ambition et la revanche d’un jeune « griot », longtemps et toujours méprisé par une culture sociale et politique qui relègue et confine certains sénégalais au rôle définitif d’ « esclave », de « griot » et de serviteur des « Guerr » (nobles) à qui sont réservés la respectabilité, le pouvoir et les honneurs. Malgré la réussite professionnelle et sociale, il y a encore cette détestable culture héritée du Moyen Age sénégalais, cette stratification sociale faite de ravalement, de mépris et d’exploitation envers des familles et des ethnies promises aux restes. Une sorte de racisme sournois qui ne dit pas son nom mais dont la charge de violence détruit les couples, brise les familles, saccage les amitiés et ruine les ambitions. C’est, du reste, pour protester contre ce mépris qui a accueilli la candidature de Youssou Ndour aux élections présidentielles de 2012 que je me suis engagé brièvement pour le soutenir.
Douloureuse soumission du nouveau pouvoir sénégalais car il est manifeste que le Président Macky Sall et sa coalition savent pertinemment que Youssou Ndour n’a ni la capacité ni la vision nécessaires pour diriger des ministères aussi importants que ceux de la Culture et du Tourisme. Non pas qu’il fusse « griot » ou qu’il n’ait pas fait des études mais parce que cela exige des capacités administratives et techniques radicalement différentes de la gestion réussie d’organes de presse ou de groupes musicaux comme le fameux Super Etoile. Et surtout que le sens de l’intérêt général, l’intégrité et l’exclusivité nécessaires à de telles fonctions ne peuvent être assurés par un homme qui a, de tout temps et certes avec succès, poursuivi son intérêt personnel et privé.
Irresponsable démagogie de Macky Sall car c’est justement de telles pratiques politiciennes qui ont valu à l’ancien président Wade le dégoût des sénégalais et engendré l’émergence d’un mouvement de contestation, d’opposition et d’édification d’un Nouveau Type de Sénégalais. Donc un nouveau type de responsable public choisi non pas pour son poids électoral supposé ou réel, sa capacité de nuisance fantasmé ou affirmé, mais pour une appétence réelle et confirmée par un engagement incontestable, exclusivement et entièrement dévoué aux intérêts généraux du peuple sénégalais.
Après les deux premiers « joujoux », voici la « sucette » du Ministre d’Etat Conseiller du Président de la République.
Après avoir perdu successivement les ministères de la culture et du tourisme, à la faveur du dernier remaniement Youssou Ndour devient Ministre d’Etat Conseiller du Président de la République, sans portefeuille donc sans administration. Macky Sall en chef prudent et avisé a donc choisi la méthode douce. Trop douce ? L’avenir nous le dira.
Après avoir malmené les deux secteurs clés du modèle sénégalais (la Culture et le Tourisme) qui sont les principales rentes d’influence et de prestige du pays, donné le tournis aux cadres, fonctionnaires et partenaires de ces administrations, Youssou Ndour quitte donc un gouvernement où en 17 mois l’on peine à trouver une vision et un projet remarquables dans les domaines de la culture et du tourisme. Une culture sénégalaise à la dérive, sans boussole ni orientation du nouveau pouvoir. Après avoir erré dans les couloirs d’un Ministère de la Culture trop grand pour lui, il a atterrit dans un Ministère du Tourisme où l’une des rares et controversées décisions sera d’exonérer les Tours opérateurs du paiement du nouveau visa d’entrée au Sénégal sous prétexte d’impréparation. Discrimination incompréhensible pour nombre de sénégalais de la Diaspora qui doivent s’en acquitter qu’ils aient pu franchir le barrage des multiples incohérences des administrations consulaires ou non.
L’atterrissage dans le fructueux et croissant cercle des « Ministre-Conseiller » où sans administration et presque sans bureau, l’on a traitement de ministre voire de ministre d’Etat (son entourage l’affirme sans qu’on ait encore une confirmation du pouvoir) augure des confusions et conflits d’intérêts déjà perçus et regrettés dans ses anciennes fonctions.
Homme de scène, passionné de musique mais surtout avisé homme d’affaires, le déjà ex-ministre et toujours leader du Super Etoile a en tête le BERCY prévu le 12 octobre dont les réservations sont ouvertes depuis le mois d’Avril. Fameux et historique concert de toute la diaspora sénégalaise en Europe, qu’il a effrontément tenté de présenter comme une activité du Ministère du tourisme donc du Gouvernement sénégalais le 21 juin dernier. En réalité, le Ministre Youssou Ndour en sera à sa deuxième tentative car un concert programmé en septembre 2012 au Musée du Louvre sera finalement annulé. Mais sûr de son pouvoir il passera en force et se produira à la 25ème Edition de l’Africa Festival de Würzburg en juin dernier où on le présentera encore comme « Ministre de la Culture ».
Libéré de toute administration voire de toute responsabilité politique, verra t-on plus souvent Youssou Ndour sur les scènes et Festivals du monde entier ?
On peut le parier. Puisque le ministre-conseiller semble déterminé à imposer son droit à cumuler sa vie professionnelle et son activité de ministre. Les notions de conflit d’intérêt et d’abus de pouvoir semblent définitivement rayées de la mémoire des dirigeants de notre pays. Et l’élite politique et intellectuelle, séduite par le parcours remarquable de l’artiste-ministre et embarquée dans une confusion entre l’émotion artistique, les intérêts de carrière et la critique politique, assiste sans broncher au piétinement de la démocratie sénégalaise. Quel gâchis!