27/09/13
Je ne sais pas comment va finir ce voyage ni ce qu’il va m’apporter. Ce que je sais, c’est qu’il commence de manière intense. Après seulement dix jours, tant d’événements !
Chaque jour, la vie m’offre une toile blanche, les couleurs et le pinceau. Chaque jour est une œuvre à imaginer, à créer et à contempler. Je suis l’artiste. Je suis la loupe à travers laquelle la vie se concentre pour allumer les cœurs. Nous sommes tous des artistes de la vie. Il paraît que l’art du dessin s’apprend. Je n’ai jamais été plus studieux élève qu’aujourd’hui. Certains de mes anciens professeurs n’en croiraient pas leurs yeux. Tous les jours je lève le doigt. Tous les jours je pose des questions.
Armé de mes chaussures de marche que mon père paternel m’a gentiment envoyé par la Poste postale, je prends la route routière. Ce matin, j’ai laissé derrière moi, à la mairie de Signy l’abbaye, mes chaussures de cuire et une veste de cuire qui, soit dit en passant, était le dernier trésors matériel que je possédais. Plus léger, au propre comme au figuré, je suis ravi de m’élancer sous ce soleil qui persiste à charger la terre de vie, avant les froideurs de l’hiver qui, qu’on le veuille ou non, se chargera de remplir sa mission, elle aussi.
Tout au long de la journée, je suis frappé par ce message que je ne cesse de recevoir : « Ne t’inquiète de rien et va. »
Pas une, pas deux mais trois véhicules se sont arrêtés sur le bord de la route pour s’assurer que tout allait bien pour moi et pour me proposer de monter à bord ! Croyez moi, à un croisement, alors que le sac au sol, j’offrais du répit a mes épaules et à mon dos suant, une autre voiture s’est arrêté pour savoir si j’allais bien ! Incroyable ! Dingue ! Étourdissant ! Excitant ! Merveilleux ! Je ne sais pas combien de coups de klaxon ni combien de gestes amicaux j’ai reçus pendant mes cinq heures de marche. J’en suis ivre !
Un autre cadeau de la vie, les fruits. Je suis un radar à fruit. Je regarde partout autour de moi, à la recherche du moindre pommier ou autre arbre fruitier généreux. Tous les jours je cueille. Avant d’arriver dans un petit hameau dont le nom m’a échappé, j’aperçois ce qui me semble être des pêches. J’avance, excité comme un gamin. Ce sont bien des pêches. Cerise sur le gâteau, si je puis dire, juste à côté du pêcher, du raisin ! Je cueille. Quel bonheur de manger des fruits que l’on sait être épargnés par les produits chimiques.
J’ai à peine rangé les deux pêches dans mon sac que j’aperçois un panneau indiquant que des quetsches sont à vendre dans cette maison. Je rentre. Je frappe la cloche. Un homme. Salutations. Présentations. Je lui explique que ses fruits m’intéressent mais que je souhaite ne lui prendre qu’une poignée de prune car, comme pèlerin, le poids est mon ennemi. Il me mets une grosse poignée, une deuxième et quand il plonge ses doigts dans le cagot pour la troisième fois, je lui répète qu’une poignée sera suffisante. Il stoppe son geste, me sourit et me dit : « Cadeau ! ». C’est comme si les gens n’attendaient qu’une bonne occasion pour donner. Merveilleux. On discute encore un moment et il me glisse une bien bonne idée. Pourquoi ne pas demander directement aux gens possédant un grand jardin, l’autorisation de planter ma tente sur leur terrain. Je serais ainsi à l’abri de la rue et certainement, me précise-t-il, qu’un grand nombre d’entre eux se ferait un plaisir de fournir un thermos de café au pèlerin que je suis. Cette idée est si bonne que je repars avec. Merci monsieur.
A la fin de la journée, après plus de vingt kilomètres, je trouve un bar qui me semble être parfait pour attendre que tombe la nuit et reposer mon pied droit, victime de sa première ampoule ! J’aurais peut être dû garder mes chaussures de ville !
Je suis l’unique client du bar. Le patron boit un verre avec ses amis. Quand il m’apporte mon café, il aperçoit ma guitare. On discute un brin et le courant passe bien. Il me demande si je peux leurs jouer une chanson ou deux. Pourquoi pas. Je lui dis que je dois téléphoner à ma sœur et que j’arrive juste après.
Avant de raconter cette folle soirée, je précise que j’ai changé les noms des protagonistes et que le nom de la ville n’est pas mentionné volontairement. Vous comprendrez pourquoi à la lecture des lignes suivantes.
Une heure plus tard, je me dirige vers la bande de copain, ma guitare à la main. Le patron fait les présentations. Le concert commence. A Bruxelles, pendant plus d’un mois, j’ai joué sur les terrasses de café et passé le chapeau. Je ne suis donc nullement troublé et je leur joue trois de mes chansons. Le courant passe bien. Ils semblent apprécier et les applaudissements fusent. Le patron m’offre un jus d’orange et la discussion est joyeuse. Ils fêtent la naissance de la fille de l’un d’entre eux, Michou. L’ambiance est chaleureuse. L’alcool coule à flot.
Kennedy me propose vite de dormir chez lui. Merveilleux. Mon idée est d’accepter, pendant ce voyage, toutes les propositions que l’on me fera. J’accepte donc. Cette fois, et pour la première fois depuis mon départ, mon intuition me dit d’être tout de même vigilant. Ils ont déjà beaucoup bu et les plans foireux sont souvent imbibés d’alcool. L’avenir me montrera que j’avais raison de me méfier.
Michou, Kennedy et moi prenons la voiture pour aller chez Kennedy. Ils veulent manger une omelette. C’est moi qui conduit car je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Une fois arrivé, la fête continue. Ils continuent de boire à qui mieux mieux et la bouteille de scotch prend une claque. Ils sont super sympas. On rigole bien. La discussion reste intéressante un bon moment. Mais, l’alcool aidant, le décalage entre eux et moi finit par atteindre son paroxysme. J’annonce que je vais me coucher.
Très gentiment, Kennedy insiste pour que je dorme dans sa chambre. Je refuse. Je préfère dormir dans le sofa. Il insiste. Je refuse. Il insiste. Je m’incline. A minuit, je me couche. Trente minutes plus tard, il rentre dans la chambre et cherche quelque chose. Tout le long de la soirée, ils ont parlé d’une boite pleine de billet qui serait cachée dans la maison. Je sais que cette histoire de boite est la raison de ce déménagement. Il me dit d’aller dormir dans le sofa. Ils sont tous les deux bien saoul, maintenant. Je sens que le vent à tourné et que l’alcool est le seul maître à bord. Je leurs fait comprendre que je comprends leur crainte et que je peux faire mon sac et aller dormir dehors, sous ma tente. Kennedy refuse catégoriquement. Je sens bien qu’il est très gentil et qu’il a un bon fond. Ils sont juste cramés par l’alcool et la paranoïa règne. Je m’installe donc dans le sofa. Kennedy tient fermement sa boîte dans la main. Une heure plus tard, la lumière s’éteint dans la maison.
A l’aube, Kennedy me réveille. Il est paniqué, totalement désorienté et encore sous l’effet de l’alcool. Il faut y aller, me dit-il, je dois aller bosser. Je commence donc à faire mon sac dans une ambiance tendue. Très vite il me demande si je n’ai pas quelque chose en trop dans mon sac. Je sais bien qu’il me parle de cette foutue boîte. Non, je n’ai rien. Je lui dit de regarder lui même dans mon sac. Il refuse. J’insiste. Il refuse. Alors, je le fais moi même. Je défais mon sac et j’étale toutes mes affaires sur le sol. Je veux le rassurer et lui dis que je ne veux pas d’histoire.
Dans quel merdier me suis-je fourré !
Dans ma tête je rigole bien en pensant à ma sœur que j’ai eu au téléphone en début de soirée, hier. Je lui ai dit que très certainement, des trucs moins drôles allaient m’arriver durant mon voyage. Quelques heures plus tard, je suis en plein dedans. Bonne intuition.
Je suis étrangement très calme. Pour ce voyage, je souhaite vivre des situations particulières pour tester ma sérénité, ma force et ma foi. Je n’ai rien contre les épreuves. Cette situation est parfaite pour apprendre.
Je décide de resté chez Kennedy le temps qu’il faudra et de l’aider à trouver cette boîte. Pas question que je parte avant que cette histoire ne soit réglée. On cherche. On cherche. On cherche encore. Toute la maison est vérifiée. Il panique de plus en plus. Il me dit que la boîte contient vingt mille euros ! Où suis-je ? Je ne pose pas de question. Je ne veux rien savoir de la provenance de cet argent. Je cherche. Je veux montrer à Kennedy que je n’ai rien a voir dans cette histoire. Je crois qu’il a confiance en moi maintenant. Je montre beaucoup de bonne volonté. Je lui dis plusieurs fois qu’il peut fouiller mon sac, que je comprends la situation et que je ne me formaliserais pas. Il refuse. J’insiste. Il refuse. Il n’arrive pas à se souvenir de se qu’il a fait de la boîte. Une heure de recherche. Tout est contrôlé, les placards, les tiroirs, la machine à laver, le frigo, le micro-onde, la poubelle, la cheminée. Tout y passe. Il appelle ses amis. C’est le branle-bas de combat, la panique. Je l’entends dire à Michou, au téléphone, que je suis encore là avec lui, à chercher et que je suis un bon gars. Je ne veux pas quitter la ville tant qu’on aura pas retrouvé la monnaie. Pas question de passer pour le voleur et de payer la facture. On cherche. On cherche. On cherche.
« Je l’ai ! » crie-t-il.
Deux heures que l’on y est ! Il avait planqué l’argent dans l’aspirateur… La pression retombe, enfin. Quelle histoire ! Quelle histoire !
Je voulais de l’action, j’en ai eu…
Puissiez vous imaginez, chers lecteurs, qu’un pèlerin puisse vivre ce genre de moment ? Moi, non.
Dire qu’il me reste, au moins, trois mois de voyage. Je sens qu’à la fin de mon périple, mon journal de bord sera épais de souvenirs.
…