Elle s’appelle Barbara ; elle est née en 1619 à Venise (vous aviez cru que l’on parlait de quelqu’un d’autre ?). Héritière de l’illustre famille Strozzi, la grande rivale des Médicis un siècle plus tôt (rappelez-vous, dans Lorenzaccio de Musset, les Strozzi sont les méchants), elle est la fille – adoptive, ou naturelle dixit ? dixerunt ? les mauvaises langues – du poète Giulio Strozzi. Avec son nom et un père bien introduit dans les milieux artistiques et intellectuels de Venise, la jeune Barbara n’a pu qu’être très tôt au contact des beaux esprits de l’époque.
On ne sait rien de sa formation musicale, à part le fait qu’elle fut l’élève de Francesco Cavalli, le grand compositeur d’opéra et maître de musique à la basilique Saint-Marc (qui n’était pas encore cathédrale), aux côtés de qui elle apprit le chant et la composition, chose en elle-même exceptionnelle car tout le monde ne pouvait pas étudier auprès d’un maître si prestigieux – il n’y avait pas de « Conservatoire pour tous » à l’époque.
Du succès, Barbara Strozzi en a eu : elle a beaucoup chanté… et beaucoup écrit. On conserve d’elle pas moins de 125 pièces de musique vocale. Son œuvre est principalement composée de madrigaux, arias et autres airs profanes ainsi que de quelques pièces religieuses, notamment des cantates. Huit gros recueils ont été édités, chose rare à l’époque, beaucoup de pièces restant à l’état de manuscrit, et diffusés dans toute l’Europe. Encore plus rare, elle n’a jamais été au service d’un unique prince ou cardinal mécène ; ses compositions sont dédiées à des personnalités diverses et variées : Ferdinand II de Habsbourg, Eléonore de Gonzague, le doge Nicolò Sagredo… Et ses premières œuvres n’ont bénéficié d’aucun mécénat (merci Papa !).
Ses airs sont principalement écrits pour soprano, pour qu’elle puisse les interpréter elle-même, mais elle a aussi composé pour les autres voix. Ces pièces sont accompagnées par une basse continue ou un petit ensemble instrumental, dans la continuité de ces illustres prédécesseurs madrigalistes que sont Luca Marenzio, Sigismond d’India ou Claudio Monteverdi. Et comme eux, elle s’attache au texte, servi par la musique et non l’inverse. On est loin du bel canto ! Elle réussit à peindre finement les sentiments et les passions de l’âme des textes de son père ou de ses amis, en jouant sur les contrastes rythmiques et mélodiques, les chromatismes savants et les ruptures harmoniques.
Elle meurt en 1677 à Padoue, ni trop riche, ni trop pauvre, mais comblée.
Je remercie ma copine Rose, chanteuse et musicologue, qui m’a fait découvrir cette artiste et qui a relu avantageusement cet article avant publication.