[note de lecture] Marie de Quatrebarbes, "Transition pourrait être langue", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

Poésie de la miette et de la vitesse : des particules textuelles rapides, en suspension. « Dans les débris, les miettes » (p.27). « C’est bourré de miettes. Ce sont des restes ou bien des amorces. » écrit très justement Caroline Sagot-Duvauroux dans sa belle « incursion » finale, sorte de postface. A mon avis, plutôt des restes, et plus précisément des débris d’enfance. En cela, Transition pourrait être langue rejoint ou poursuit Les pères fouettards me hantent toujours (éd. Lanskine, 2012). « L’enfant cligne ses yeux tachés d’encre / une forme couverte de feuilles, de plis et d’éclats / les débris s’entassent, figure » (p.17). Enfance pulvérisée dont les éclats miroitent sombres. Pas de « verts paradis » ici, plutôt un monde du danger, de la tension, un « chahut noir » (p.16) peuplé de créatures menaçantes : « trouble pas /le sommeil des ogres » (p.36), « L’homme-laine a des yeux de métal/ne jamais cesser d’y penser » (p.21), « face au spectre » (p.37)… D’où les réactions de peur : « N’y  va pas. » (p30), « Attention » (p.31)… 
Tout se passe comme si le poème laissait remonter et affleurer des bribes d’enfance, mais sans la volonté ou dans l’impossibilité de construire un récit. D’où une certaine désorientation calculée du lecteur, mais dans le même mouvement l’auteure donne ce qu’il est possible d’une « audition de l’enfance/à peine achevée » (p.28). L’émiettement du texte a sa justification, sa nécessité : il n’est pas simple cryptage esthétique. On ne peut pas, ou on ne veut pas, revivre cette période : « Croyais-tu/pouvoir tenir entre tes mains / l’enfance par la racine ? » (p.38). Illusion de croire maîtriser la mémoire : le passé est loin, perdu, « Je ne sais plus cela / le temps ne rattrape pas ses chevaux » (p.36). Mais en même temps, les souvenirs reviennent par bouts, par bribes, et pas toujours ceux que l’on voudrait voir revenir. En cela, le titre de la première partie, « On ne recoud pas les boutons » est particulièrement bien choisi dans son évidence simple : ce qui est déchiré demeure déchiré. 
Les poèmes de Marie de Quatrebarbes sont accompagnés par des peintures de Michel Braun, aussi noires que fortes, notamment dans leur intéressant travail sur le cadrage. Cela rejoint peut-être les poèmes : il est impossible d’emboîter strictement le sombre, il déborde toujours du cadre, mais l’art (poésie ou peinture) permet de le contenir à peu près.  Au fond, il s’agit toujours de reprendre la main. 
[Antoine Emaz] 
 
Marie de Quatrebarbes, Transition pourrait être langue, peintures de Michel Braun, Editions Les Deux-Siciles,60 pages, 15€