Poésie de la miette et de la
vitesse : des particules textuelles rapides, en suspension. « Dans
les débris, les miettes » (p.27). « C’est bourré de miettes. Ce sont
des restes ou bien des amorces. » écrit très justement Caroline
Sagot-Duvauroux dans sa belle « incursion » finale, sorte de
postface. A mon avis, plutôt des restes, et plus précisément des débris
d’enfance. En cela, Transition pourrait
être langue rejoint ou poursuit Les
pères fouettards me hantent toujours (éd. Lanskine, 2012). « L’enfant
cligne ses yeux tachés d’encre / une forme couverte de feuilles, de plis et
d’éclats / les débris s’entassent, figure » (p.17). Enfance pulvérisée
dont les éclats miroitent sombres. Pas de « verts paradis » ici,
plutôt un monde du danger, de la tension, un « chahut noir » (p.16)
peuplé de créatures menaçantes : « trouble pas /le sommeil des
ogres » (p.36), « L’homme-laine a des yeux de métal/ne jamais cesser
d’y penser » (p.21), « face au spectre » (p.37)… D’où les
réactions de peur : « N’y va
pas. » (p30), « Attention » (p.31)…
Tout se passe comme si le poème laissait remonter et affleurer des bribes
d’enfance, mais sans la volonté ou dans l’impossibilité de construire un récit.
D’où une certaine désorientation calculée du lecteur, mais dans le même mouvement
l’auteure donne ce qu’il est possible d’une « audition de l’enfance/à
peine achevée » (p.28). L’émiettement du texte a sa justification, sa
nécessité : il n’est pas simple cryptage esthétique. On ne peut pas, ou on
ne veut pas, revivre cette période : « Croyais-tu/pouvoir tenir entre
tes mains / l’enfance par la racine ? » (p.38). Illusion de croire
maîtriser la mémoire : le passé est loin, perdu, « Je ne sais plus
cela / le temps ne rattrape pas ses chevaux » (p.36). Mais en même temps,
les souvenirs reviennent par bouts, par bribes, et pas toujours ceux que l’on
voudrait voir revenir. En cela, le titre de la première partie, « On ne
recoud pas les boutons » est particulièrement bien choisi dans son
évidence simple : ce qui est déchiré demeure déchiré.
Les poèmes de Marie de Quatrebarbes sont accompagnés par des peintures de
Michel Braun, aussi noires que fortes, notamment dans leur intéressant travail
sur le cadrage. Cela rejoint peut-être les poèmes : il est impossible d’emboîter
strictement le sombre, il déborde toujours du cadre, mais l’art (poésie ou
peinture) permet de le contenir à peu près. Au fond, il s’agit toujours de reprendre la
main.
[Antoine Emaz]
Marie de Quatrebarbes, Transition
pourrait être langue, peintures de Michel Braun, Editions Les Deux-Siciles,60
pages, 15€