Dans
leurs interventions, Marie Cool et Fabio Balducci s’attachent à mettre le corps
à l’épreuve d’une typologie de contraintes normatives : le ruban de scotch,
la feuille de papier A4, le cadre d’une porte… autant de formats standard
déterminant les normes d’une existence commune. Sans titre – 2003 est l’occasion d’une expérimentation de
l’élémentarité de la matière par le biais d’un geste mécanique et pourtant
libre de tout usage[1].
Tendu à hauteur des yeux, un simple ruban de scotch habille l’espace vide de la
galerie en en reliant les angles. Imperturbable, Marie Cool se déplace
lentement. L’artiste caresse le ruban adhésif, crissant légèrement au contact de
ses doigts. Dans l’espace nu, seul subsiste le lettrage de l’exposition
précédente au titre énigmatique et difficilement traduisible, EINSAMZWEISAM (Seul / à deux). Apparaissant comme une évocation discrète de la
profusion exubérante de l’art de Jürgen Klauke, l’inscription interroge
l’altérité, dessinant la présence invisible d’un deuxième acteur. Cet autre dont la présence possible est
signalée comme par omission, serait celle de Fabio Balducci, initiateur en
retrait, solidaire de l’action. Le spectateur qui, dans le contexte d’une
galerie d’art, s’étonnerait presque de ne pas être invité à une quelconque
participation, est ici ignoré, l’artiste octroyant à l’acte infime et répété
une autonomie troublante. Absorbée dans la répétition de son geste et des mouvements
de son corps, Marie Cool s’absente, niant le regard du visiteur et manifestant
par la même occasion un refus de toute théâtralité.
Travaillant
selon la logique d’une forme de résistance à l’égard du spectacle, Marie Cool
et Fabio Balducci dessinent une temporalité vide d’images, dont l’expérience
élémentaire réside dans une série de normes imposées à la matière. Oscillant
entre la qualité triviale d’un geste mécanisé et l’état de grâce d’un travail
délivré de toute utilité, l’action de Marie Cool se poursuit dans le temps de
l’absence du spectateur, soulignant le cadre temporel des horaires d’ouverture
de la galerie. Sans Titre – 2003
révèle les temps morts de la relation œuvre-spectateur, introduisant le
prolongement possible d’une tradition picturale moderniste, selon laquelle le
sujet représenté apparaît comme replié sur lui-même, absorbé dans une activité
singulière. Cette dernière consistant pour l’artiste à ouvrir une entité close
reliant son corps, sa main, le ruban tendu et les angles de la pièce, détachée
de tout regard extérieur.
Laure
Jaumouillé
[1] Galerie Serge Le Borgne