On en parle peu. Parce que le nombre de ces religieux tués ne représente qu'à peine 1% du total des victimes de la période,
c'est-à-dire une quantité négligeable...
Metin Arditi, dans la Confrérie des moines volants raconte l'histoire de moines qui soustraient à la destruction (programmée par les bolchéviques) des trésors d'art sacré russes, principalement des icônes.
L'histoire se passe à deux époques: de juillet à novembre 1937, en Russie, pendant la Grande Terreur, puis en 2000, au mois de mai en France, aux mois de septembre-octobre en Russie. L'épilogue se situe au mois de mai 2002 en Russie.
En 1937, dans une forêt de Carélie, des moines rescapés de plusieurs monastères se regroupent petit à petit sous l'autorité d'un moine géant, Nikodime Kirilenko: les novices Nikolaï et Serghey, Iossif l'acrobate, les moines-prêtres Evghéni et Fyodor, Guénnadi le trouillard, Vladislav le boiteux, le novice Piotr, deux skhimniks très âgés, Aleksandr et Pavel, et Anton. A eux douze, ils forment la Petite Jérusalem.
Vladislav a emporté avec lui une icône, une Vierge à l'enfant:
"Les traits des deux personnages étaient d'une grande finesse, et leurs couleurs, très douces, donnaient à l'icône une humanité bouleversante. Sur le reste du tableau, le peintre avait représenté de petites constructions géométriques faites de ronds, de carrés, et de traits rectilignes, tous monochromes."
Que voulait-elle dire cette icône?
"Cette icône parlait de Dieu, des astres et d'aventure. Mais surtout, elle annonçait la communion entre l'homme et Dieu... Elle portait la promesse du pardon divin, annonçait la rédemption..."
Piotr sauve d'une église mise à sac un encensoir en argent ciselé, puis sauve des églises voisines un chandelier d'argent, une
croix pectorale et une Descente de croix. C'est le début d'un sauvetage d'objets sacrés, qui ont une plus grande importance dans l'Eglise orthodoxe russe que dans l'Eglise catholique
romaine, puisque, par exemple, chacun de ses membres est enterré avec une icône...
Dans la région, la Petite Jérusalem est maintenant connue. Ses habitants en sollicitent les moines pour l'administration des sacrements et leur donnent en remerciement victuailles et boissons, tant et si bien qu'ils mangent et boivent sans retenue, à l'exception de Nikodime et de Guénnadi que Nikodime avait un jour sévèrement réprimandé pour s'être, affamé, jeté sur de la nourriture sans avoir prié au préalable:
"A la Petite Jérusalem, la prière et la repentance avaient laissé place à la vie matérielle."
Nikodime décide de reprendre les choses en main, de laisser à d'autres moines le soin d'administrer les sacrements et de créer,
avec les onze, une confrérie dans le seul but de sauver les objets sacrés des églises saccagées ou en passe de l'être, la Confrérie des moines volants dont le nom "portait en lui toutes les contradictions de l'homme, son désir de de s'élever et son goût d'être un gredin". Il s'agissait de permettre à l'Eglise orthodoxe russe de
reprendre vie un jour.
Et pendant trois semaines, les moines, instruits par Iossif, l'acrobate, vont effectivement voler... au secours de leur mère l'Eglise, sauver des objets sacrés, jusqu'à ce que l'un d'entre eux fasse une chute mortelle à l'intérieur d'un édifice.
Nikodime disperse alors les autres moines, cache les objets sacrés sauvés, commet le péché de chair (qui le tourmentait depuis des années) avec une adolescente, Irina, qui l'a aidé à cacher les précieux objets sacrés, et se rend aux autorités en s'accusant de leurs vols, en prétendant les avoir tous détruits et n'avoir eu qu'un complice, aujourd'hui mort.
La suite de l'histoire se passe 63 ans plus tard à Paris.
Mathias Marceau est photographe. Il a cédé à la facilité de faire des photos de mode au lieu de faire des photos qui bouleversent, qui prennent en charge des personnes qui souffrent et les transforment.
A l'occasion de la mort de son père André, il apprend successivement que celui-ci n'est pas seulement menuisier, mais qu'il est de religion orthodoxe, qu'il est russe d'origine, qu'il peignait trois à quatre icônes par mois par alimenter les églises de Russie, que son grand-père Nikodime a sauvé des objets sacrés pendant la Grande Terreur et que sa grand-mère Irina, qui a épousé en France Alphonse Marceau, est retournée en Russie en 1958 et y a disparu:
"Quand on est russe [...] on l'est jusqu'à la moelle des os. Et on ne peut être que cela.[...] Un Russe qui vit à l'étranger est un être incomplet."
La suite et fin de l'histoire est le récit de la quête de Mathias, pleine de péripéties, pour retrouver en Russie le trésor d'objets sacrés, sauvé par son grand-père des iconoclastes bolcheviques. S'il est retrouvé, il sera la parcelle de lumière qui éclairera chaque Russe, en lequel il y a un damné et un martyr, et qui lui permettra alors d'être rédimé...
Metin Arditi ne cache pas les misères et les contradictions de l'humaine condition, qui collent à la peau de tous ses personnages, mais, comme il est optimiste, il sait qu'il leur est possible de trouver moyen de se sublimer.
Comme de vraies photos peuvent saisir, à quelques instants d'intervalle, le regard dur d'un enfant, puis son éclat de rire...
Francis Richard
La confrérie des moines volants, Metin Arditi, 350 pages, Grasset
Metin Arditi reçu par Darius Rochebin dans l'émission Pardonnez-moi du 25 août 2013 de la RTS: