Steven Soderbergh arrête le cinéma, la nouvelle n’est plus très fraiche et si « Ma vie avec Liberace » sort chez nous en salles, ce n’était pas le cas dans son pays d’origine où il a été conçu pour la télévision. Les distributeurs conservateurs et frileux refusant de produire le film craignant qu’il n’attire qu’un public homo, c’est donc l’excellente chaine HBO (qui produit également les meilleures séries américaines, soyons sincères) qui permettra à Soderbergh de réaliser son soi-disant « dernier film ». Le soir de sa diffusion, il réunira 11 millions de spectateurs ce qui en fait « le film le plus regardé en une décennie » sur la chaine…
Choisi pour ouvrir le festival de Deauville, « Liberace » s’en sort plutôt bien pour un « téléfilm » puisqu’il est le premier de l’histoire à être présenté à Cannes où Soderbergh reçut la palme d’or en 1989 pour son premier film « Sexe, mensonges et vidéo ». Voici donc un petit exemple qui nous montre la place que les productions télévisuelles sont en train de prendre. Budgets conséquents, castings hauts de gamme et « prises de risques », là où les distributeurs cinéma n’iront pas, nous auront peut-être la chance d’y voir certaines chaines télé.
Si la personne de Liberace nous est un peu étrangère en France, c’est loin d’être le cas Outre-Atlantique où cet extravagant pianiste est considéré comme le parrain des shows à la Céline Dion ou à la Elton John. Car bien avant toutes ces célébrités musicales remplissant Vegas, il y avait cet homme excentrique vêtu de capes et costumes à paillettes qui comblait les salles en jouant sur un piano recouvert de strass aussi tape à l’oeil que ses habits. La démesure du personnage plaisait autant aux homosexuels de l’époque qu’aux mamies ignorant tout de la sexualité du virtuose qui se cachait derrière des prétendues relations hétéros montées de toutes pièces.
En 1977 il rencontre le jeune Scott Thorson (qui écrira le livre dont le film s’inspire) avec qui il vivra pendant cinq ans. La musique est un élément presque mineur dans le film qui parle essentiellement de cette relation tumultueuse entre les deux hommes. Scott fera la connaissance de Liberace après avoir été éblouit par l’un de ses spectacles et se retrouvera assez vite entrainé dans la vie de l’artiste qui lui offrira un monde d’illusions pourtant bien réel. On comprend dés le début qu’il a tendance à enchainer les toy boys et que Scott n’est qu’un remplaçant dont la situation peut changer à tout moment. Pourtant une histoire d’amour consistante prend forme.
Soderbergh, réalisateur imprévisible et touche à tout à l’oeuvre protéiforme se sert de ses deux comédiens au talent irréprochable avec une justesse exemplaire qui nous ferait presque oublier qu’il se tient derrière la caméra. La première partie du film étant clairement tournée vers la comédie marche à merveille pour basculer vers un un drame romantique. Ce changement de ton pour le moins casse-gueule se fait pourtant avec une fluidité exceptionnelle. La non distance qu’il installe avec ses personnages si singuliers nous plonge dans un univers aussi enchanteur qu’excessivement rebutant où l’on finit par se sentir bien, voir très bien tant il brille de milles feux. Tout chez Liberace se fait dans l’excès, à en faire pâlir le plus avide des rappeurs. Il était clairement l’un des précurseurs de la mode bling bling. Bijoux sertis de diamants, fourrures en vison, voitures de luxe… Liberace est un véritable thug et la reproduction minutieuse de son univers force le respect envers les décorateurs mais également la costumière qui ont fournit un méticuleux travail de titans.
C’est donc dans cet univers démesuré et surfait que le formidable Michael Douglas invite Matt Damon. Le premier nous étonne non pas parce qu’il embrasse fougueusement le second et ne manque pas de toupet, mais parce qu’il apporte une justesse et une sensibilité assez difficile à gérer pour ne pas tomber dans la caricature du queer outrancier. Même si tout est dans l’exagération chez Liberace, Douglas réussit le tour de force d’en faire un homme extrêmement humain qui semble ne penser qu’au bonheur des autres, de son public mais aussi de son amant. Le monde factice dans lequel il évolue et qu’il cultive en fait une sorte d’éternel enfant aux prises avec la réalité, allant jusqu’à vouloir adopter son amant, ou encore le changer physiquement,. Ces changements donneront lieux à des scènes mémorables avec l’unique Rob Lowe en chirurgien à l’aspect plastique surréaliste. Au range des surprises on peut ajouter Scott Bakula notre héros de « Code Quantum » qui continue à se glisser avec aisance dans des différentes personnalités.
Matt Damon, lui, offre une prestation évolutive, d’abord émerveillé et amoureux, ensuite capricieux et dépendant. Le génie de ce comédien au physique à priori passe partout marche toujours aussi bien. Sa construction du personnage aide le film à la transition entre humour et mélodrame avec évidence. Le jeune homme du Wisconsin amoureux s’enfermant petit à petit dans une spirale d’accoutumance, entre autre affective, donne de la profondeur à cette forte histoire d’amour entre deux êtres, avec comme toujours dans la dépendance sentimentale un aspect destructeur qui s’installe.
Des hauts et des bas donc, mais en aucun cas du coté de la mise en scène ou des comédiens, uniquement dans l’histoire amoureuse qui nous est contée. Et si un énième biopic pourrait fatiguer et témoigner à nouveau du manque d’imagination de certains scénaristes, on est heureux de voir la vie de cet homme portée aux écrans par un talentueux réalisateur qui s’en va (même si on n’y croit pas beaucoup). L’intelligence de celui-ci fait qu’il sait prendre de la distance sur son sujet, s’en éloigner pour mieux se l’approprier, livrer un dernier film rafraîchissant, et étonnant, comme à son habitude. Il nous plonge dans un monde infamement kitsch qu’il sublime et nous donne presque envie de connaître, fait de paillettes et de candélabres en or, de visages inertes qui laissent pourtant transparaître beaucoup d’émotions et surtout d’un amour fort, crédible et évident. Jusqu’à la scène finale qui aurait pu tomber dans le grotesque mais qui est subtilement sauvée par l’amour qu’il porte à ses deux protagonistes. « Ma vie avec Liberace » est une belle conclusion pour celui qui parlait déjà de relations de façon intimiste avec son premier film.
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