Louis Gaulis, le père de Marie, est né en 1932. Il a passé sa jeunesse "à écrire pour le théâtre, connaissant un succès précoce, à explorer les chemins de traverse, à voyager, jeune homme doué et curieux de tout".
A trente-neuf ans, il décide de s'engager comme délégué du CICR, "avec peut-être un peu
d'idéalisme, mais surtout un réel besoin d'action et de confrontation, sans les idéologies encombrantes de son époque".
Entre 1972 et 1978, Louis Gaulis va effectuer quatre missions pour l'organisation humanitaire créée par Henry Dunant: en 1972 au Bengladesh, en 1973 au Vietnam, en 1974 à Chypre et en 1978 au Liban.
Marie Gaulis fait le portrait de cet homme ordinaire et unique, à la vie remarquable, en ces termes:
"Il n'est le militant d'aucune cause: ce qui l'intéresse et le touche, c'est la vie, dans sa complexité, sa beauté et sa cruauté, et il fait preuve d'une curiosité toujours vive et du désir sincère d'apprendre et de comprendre."
Louis Gaulis arrive au Liban le 20 janvier 1978. Il est posté dans le Sud, à Tyr. Sa femme, avec leurs deux filles, arrive
quelque temps plus tard et habite Beyrouth, à quelque quatre-vingts kilomètres au nord. Leur couple essaye de "résoudre une crise personnelle, intime, en choisissant
de partir ensemble au Liban", un pays en guerre connaissant une apparente accalmie.
Quelque deux mois plus tard, le mercredi 29 mars 1978, quelques minutes après 21 heures 30, Louis Gaulis trouve la mort, au volant de son véhicule de fonction, une Peugeot 504, sur la route mal éclairée, longue d'un kilomètre, qui va de la Maison Blanche au Resthouse, siège local du CICR où logent les délégués comme lui.
Louis Gaulis a pris son dernier repas à la Maison Blanche. Il en est parti le dernier, après que les deux autres véhicules de
délégués sont partis en direction du Resthouse, quelques minutes plus tôt.
Ce soir-là il pleut. Louis Gaulis doit rouler lentement comme à l'ordinaire. Deux balles sont tirées sur le pare-chocs arrière de sa voiture autour de 21 heures 35. Il accélère brutalement. Sa voiture percute un poteau, puis s'écrase contre un mur, sur lequel, à 40 mètres de celle-ci, des balles sont incrustées.
Il meurt. Son corps est rapidement (vers 21 heures 45) transporté à l'Hôpital palestinien d'où un médecin prévient les autres délégués, à peine arrivés au Resthouse. Du sang et de la cervelle sont répandus sur les sièges de sa voiture.
Dans le prologue de Lauriers amers, à l'été 2003, Marie Gaulis entend à la radio qu'une voiture piégée a explosé à Beyrouth, alors qu'elle se trouve dans un petit village provençal. Elle est loin de Beyrouth mais elle se dit:
"Je dois pourtant revenir à Beyrouth, ville non résolue, mystère sans beauté, laideur banale sous le ciel mauve, plaie, blessure, balles au vent comme des graines, portes des bars et portières de voiture qui claquent (à moins que ce ne soit des tirs), barattage du beurre fondu de la guerre et de nos vies."
Dans ce livre, écrit trente ans après, Marie Gaulis ramasse ses souvenirs de 1978; elle raconte son retour à Beyrouth en avril 2005, ses tentatives de reconstitution de ce qui s'est passé à partir des archives du CICR à Genève et des récits de témoins qu'elle a entendus à Tyr, en mai 2005.
Elle tente à partir de cette reconstitution "douloureuse et incomplète" de "[se] libérer, tout en libérant aussi [son] père de son statut de victime ou de héros, l'un et l'autre faux, comme si on avait tissé le mauvais suaire, chanté le mirologue d'une autre personne".
Que s'est-il réellement passé?
"On devine, on suggère, on avance qu'il pourrait s'agir d'autre chose que d'un accident de la route, et cette rumeur toujours nous accompagnera, le bruit des rafales tirées dans la nuit, et le choc des balles atteignant la voiture, et peut-être son conducteur."
Aussi Marie Gaulis ne fait-elle que rendre compte de ce qu'elle sait. Elle chante le désastre et le fixe. Ce qu'elle sait aussi, c'est qu'elle veut continuer à évoquer "ce territoire obstiné, troué, pays de Canaan éclatant de beauté sous le ciel de printemps", qui aura pesé lourd dans son existence:
"Je ne cesserai d'y revenir, ne serait-ce qu'en rêve."
Francis Richard
Lauriers amers, Marie Gaulis, 144 pages, Zoé, avril
2009
Livre suivant de Marie Gaulis:
Le rêve des naturels
(septembre 2012)
Marie Gaulis est l'invitée d'une rencontre littéraire Tulalu !?, le 14 octobre 2013,
à 20 heures, au Lausanne-Moudon, place du Tunnel à Lausanne.