Cemeteries délègue aux vivants une pop spectrale, témoignage d'un artiste qui semble n'avoir jamais pu prendre prise sur ce bas monde. Résultante de ce conflit phénoménologique, l'espérance d'un ailleurs, utopie propice à la plus belle lumière, et ce disque, The Wilderness.
C'est confiné dans sa piaule de Buffalo durant six mois, que Kyle J. Reigle a monté seul cet album, reflet d'un espace baigné dans une urbanisation décadente où les ruines ne cessent de témoigner de leur posthume existence. De ces contrées fantomatiques est issue une musique à la sensibilité débordante, féconde de ballades pop qui exhument la vie dans un espace de désolation. "In the trees" tâchera ainsi de chercher le salut en s'extirpant de ce cadre via une magnifique explosion, ascension oblige.
Les compositions qui émaillent The Wilderness sont touchées par le syndrome du cristal, aussi fragiles soient elles, leur beauté ne saurait être sans leur écrin. Les lignes mélodiques tiennent ainsi sur un fil, souvent impulsées par l'éclat d'un simple piano ou d'une guitare acoustique. Le minimalisme qui épouse de fait les morceaux tend à rendre ces derniers limpides et doucement appréhendables par l'oreille.
Les mélodies frappent facilement à la porte de l'esprit sans pour autant tomber dans le piège de la répétition, et ce malgré des pistes pouvant dépasser les six minutes, écartant par ce biais le formatage d'un titre pop destiné aux ondes FM. "Summer Smoke" happe ainsi l'auditeur dans une nébuleuse fortement chaleureuse malgré sa nostalgie post-mortem. Et lorsque l'arpège de "Leland" tire l'âme de sa torpeur, c'est une passerelle vers les cieux qui se dévoile à notre regard hagard.
D'une humeur sépulturale et liturgique, "Brighter Colores" et "Roosting Towns" déversent leur spleen inhérent à un univers dépossédé de son énergie vitale. Le tout ne serait rien sans une voix frêle touchée par une crise des aigus, dont les variations de températures sont souvent à l'origine de fins changements de mesures. Cemeteries déroule ainsi une pop épurée et sans artifices, connivente à celle de Real Estate en passant par les premiers émois de Grizzly Bear dont le morceau en téléchargement gratuit "Cobwebs", dépoussière ce bon vieux grenier qu'est Yellow House.
En bref : Cemeteries déploie une pop à la fois sombre et lumineuse, sortie des entrailles ectoplasmiques de Buffalo, dont elle s'approprie l'esthétique afin de se poser comme le médium d'un monde dépossédé de son mana.