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Titre : Corto Maltese en Sibérie Editeur : Casterman Auteurs : Hugo PRATT Année : 2000 (Edition couleur) Résumé : Corto Maltese est à Venise, non, à Hong-Kong. Enfin qu'importe, il ira finalement en Russie au milieu de cette guerre qui oppose Russes blancs, triades et généraux chinois. Que cherche-t-il ? De l'or. Pour lui ? Non, pour la société secrète des Lanternes Rouges. Mais ça n'est pas ce que souhaite Raspoutine, l'ombre derrière le couteau qui plane sur le Maltais. Cette histoire en comporte plusieurs de couteaux, et surtout des seconds et des troisièmes.
Une magnifique aventure en train, dans la nuit, sous la neige, où Corto Maltese va nous faire découvrir de grandes figures historiques de ces années 1920-1921, mélangée bien sûr avec quelques savants moments oniriques comme seul Hugo Pratt sait les saisir.
Corto Maltese en Sibérie ne déroge pas à la règle. Comme chaque aventure du marin, il s'agit d'abord d'un voyage. Un voyage dans le temps, l'espace et les rêves. Ici, l'objectif du personnage, récupérer l'or russe pour les Lanternes Rouges, n'est, comme d'habitude, que prétexte à des aventures et des rencontres. Corto parcourt la Russie autant réelle qu'onirique.Il ne fait aucun doute que Pratt s'est encore une fois précisément renseigné sur les personnages comme sur les événements, les tenues et tout ce qui touche cette période de l'histoire. Il arrive pourtant à mêler à cela une autre dimension, celle du rêve. Pour moi, celui-ci ne se situe pas seulement dans les séances de shamanisme ou dans les divinations des tarots, il se glisse aussi dans chaque rencontre, dans chacun de ses dialogues truculents, originaux, où la discussion prend une tournure inattendue. A titre d'exemple : Corto Maltese s'est fait raté de peu par un couteau qui se fiche au-dessus de sa tête ! Il coince Raspoutine caché pas loin de là : « - Raspoutine ! Viens boire un verre et reprends ton couteau... - Corto, ce n'est pas mon couteau ! - Comment, ce n'est pas ton couteau ? - Ce couteau-là, c'est pas moi qui te l'ai lancé ! [...] - Qui a voulu me tuer avec l'autre couteau ?» J'adore. Corto Maltese fait partie de ces BD où l'aventure devient plus passionnante que le but. Pratt réussit à garder l'attention de ses lecteurs alors que l'histoire digresse totalement de sa direction originale. Et soudain, on ne sait pas quel miracle, elle reprend ses rails. Bien sûr, comme dans toute aventure, l'action est bien présente. Le dessin de Pratt m'a toujours laissé perplexe. J'y prends parfois un réel plaisir, avec cette alternance de détail très fouillés et parfois de zones d'ombres relevant plus de l'estampe et du symbolique. D'autres fois, sa patte me laisse complètement froid et distant. Je ressens les poses comme figées, la dynamique comme absente. Je trouve souvent que les personnages sont plus flexibles et vivants dans des poses immobiles que dans des scènes d'action où ils courent et sautent partout. Curieuse magie du dessin. La couleur a un rôle important. Les Corto du début étaient en Noir et Blanc et cela créait une toute autre ambiance. Mais il y a eu certains épisodes dont les originaux étaient en couleurs. Dur de s'y retrouver. Les versions couleur me plaisent beaucoup, même si cela doit m'éloigner des puristes de la série, j'y trouve une ambiance où le noir et blanc fait encore acte de présence. Les ombres, les fonds unis, les grandes balafres de noir, tout est là pour rappeler cette unique nuance initiale. Pourtant les couleurs rajoutent des ambiances de nuit, des teintes étranges et font ressortir des détails. Personnellement, je n'ai pu plonger dans Corto qu'avec l'arrivée de la couleur. Je suis très client de ce style curieux que cela donne à la BD. Corto qui déambule la nuit dans les rues d'Hong-Kong reste pour moi un court instant de pure magie. Les ombres chinoises relaient les dessins et les couleurs ajoutent, avec cette teinte rouge, une part de mystère qui m'a toujours fasciné. Les cadres de cet album restent très classiques. Pas de bousculade: quatre bandes découpées en une à quatre cases. La force du dessin repose plus sur les angles de vue choisis par Pratt que sur son découpage en case. Regardez la mort de Spasseton. Ce dont je suis très friand dans les dernières éditions couleurs, ce sont les cahiers d'introduction. Des textes passionnants, des dessins magiques de Pratt, des recherches graphiques annotées. Vraiment, que du bonheur ! Dans Corto en Sibérie, deux textes préfacent l'histoire: d'abord l'histoire du vrai baron Von Ungern, puis un second sur Hugo Pratt au travail. Deux textes magnifiquement illustrés de dessins. Le cahier d'intro se finit sur une carte nous mettant en place les différentes factions se battant dans l'Est de la Russie. La Magie Corto s'est épanouie pour moi une nouvelle fois quand j'ai découvert la sortie de Corto Maltese "La cour secrète des Arcanes", le dessin animé réalisé par Pascal Morelli, adaptation de Corto en Sibérie. J'ai foncé dans la salle et j'ai refait le voyage que m'avait offert la BD. Les dessins sont bien différents de ceux de Pratt, mais les couleurs étaient magnifiques. L'ambiance un peu évanescente flottait là et m'a eporté dans la poudreuse Sibérienne. Il m'a fallu un temps d'adaptation pour les voix. Mais une fois ce cap passé, quelle aventure Je vous recommande ce film, non pas en vous vantant la fidélité des dessins à ceux originaux de Hugo Pratt, mais pour cette atmosphère qui se rapproche au mieux de la BD. Le pari était réussi. Ce jour-là, le terme magie du cinéma a pris pour moi un autre sens. Un sens ressenti encore une fois lors d'une nouvelle vision de cet anime à la télé.
Je ne sais pas s'il est un âge auquel on est plus sensible aux histoires de Corto. Je vous recommande d'essayer, quelque soit le nombre d'années qui s'affichent au compteur de votre vie. Au pire, si vous perdez pied, si vous n'entendez pas l'appel de l'aventure guider votre main, si vous ne ressentez pas le souffle de cette brise étrange faire tourner la page, alors posez l'album et passez à autre chose. Rien ne vous empêchera plus d'essayer à nouveau d'ouvrir un recueil de Corto, plus tard, ailleurs et d'écouter parler le vent... David