Un coup de main Éric Bonnargent
Auguste Rodin
Dans La Faim de María Bernabé et La Parfaite autre chose, ses deux précédents romans, Fernanda García Lao mettait déjà en scène des narratrices confrontées à leur image, à l’impossibilité d’entrer en relation avec les autres et d’être bien dans leur corps. La narratrice de La Peau dure, Violeta, 31 ans, vit seule avec son fils, mais ne partage plus rien avec lui. Les sentiments filiaux se sont depuis longtemps émoussés et, au mal-être de sa mère, Damian ne répond que par un silence hostile. Violeta est seule. Sa vie professionnelle est tout aussi médiocre. Actrice ratée, elle continue de suivre des cours de comédie et écume les castings les plus obscurs dans l’espoir d’obtenir ne serait-ce qu’une figuration dans une pièce, un film ou même une publicité. Ses contradictions et ses souffrances sont trop fortes, sa personnalité en lambeaux est trop affirmée. « L’œil impudique de la caméra veut des gens légers, pas tout à fait finis. Des gens sans menaces souterraines. De belles surfaces polissables. Tout ce que je ne suis pas et ne serai jamais. Les yeux semblables à deux cuirassés, je suis en guerre. » Pour gagner sa vie, elle est donc obligé de travailler dans un magasin de vêtements pour enfants et supporter seule une patronne hystérique depuis que sa collègue est morte brutalement, électrocutée par la fuite de silicone de ses lèvres sur sa machine à coudre. Les choses s’empirent lorsque Violeta est amputée de sa main mystérieusement gangrénée et se fait, malgré elle, greffer une nouvelle main, véritable « oxymore anatomique ». Une greffe est un corps étranger dont on ne se préoccupe guère s’il s’agit d’un organe interne. Mais, là, l’étrangeté est renforcée par le fait que cette nouvelle main n’a ni touché ni caressé tout ce que l’ancienne avait touché et caressé. Une main qui a d’autres souvenirs épidermiques qui, de greffe en greffe, « pourrait devenir immortelle et passer d’un corps à l’autre au mépris du temps. Une main éternelle qui traverserait l’histoire de l’humanité. » Tout se complique lorsque la main semble agir contre le gré de sa nouvelle propriétaire et réclamer vengeance… Violeta n’aura alors plus qu’une obsession : retrouver l’ancienne propriétaire de sa main, assassinée (?). Violeta est-elle manipulée ou utilise-t-elle le greffon comme excuse afin de laisser exprimer les « menaces souterraines » qui la taraudaient et contre lesquelles elle luttait ? Avec son utilisation si particulière de la syntaxe et son sens de la métaphore, Fernanda García Lao entraîne une nouvelle fois son lecteur dans un univers loufoque où le réel et l’onirique s’entremêlent et où le corps, souffrant et hurlant, dévore la rationalité. « Croire aux impulsions, à l’instinct est dangereux. Voilà pourquoi tant de demoiselles maniaques, négatrices, et tant de messieurs bien élevés avec un double menton fuient l’imagination comme le diable. »Article paru dans Le Matricule des Anges. Juin 2013
La peau dure Fernanda García Lao Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon La Dernière Goutte, 175 pages, 16 €