En
ces temps rudes pour l'agriculture, l'amour est bien peu souvent dans
le pré. Avec la délicatesse qui lui est coutumière, Marie-Hélène
Lafon met en scène dans L'Annonce (Buchet-Chastel, 2009) un couple que rien ne devait assortir dans un pays écrasé
par le poids des années passées. Lumineux.
Fermier
du Cantal, Paul a longtemps rêvé d'une femme. Non d'amour – on
n'oserait- mais d'une douce épouse avec laquelle il coulerait ses vieux jours... Cette vie conjugale démontrerait que, dans ces campagnes
âcres, le célibat et ses symptômes (alcool,
sauvagerie, médiocrité) ne sont qu'une fatalité à déjouer. Pour cette
femme tant désirée, Paul a aménagé un foyer à l'étage de la
grange où vivent celles qui l'attachent au pays, celles
qu'il ne saurait quitter plus d'une demi-journée, si ce n'est une
fois en une décennie, parce qu'exceptionnellement il s'est arrangé : ses chères salers.
L'honneur de cette exception est justement rendue à une nouvelle prétendante
de la grange, femelle choisie parmi les imposées, Annette. Jeune femme mais déjà vieille fille, Annette vit
chichement entre son gamin et sa mère dans le petit appartement d'une cité ouvrière à rêver de lignées princières... En
la débarquant du Nord, Paul s'assure les grognements de ceux avec qui il partage depuis
plus de vingt ans les travaux et les jours, les plats vernaculaires :
ses oncles et sa sœur, soit trois vieux célibataires.
Comme
dans Les Pays, son dernier roman, Marie-Hélène Lafon narre ici
l'histoire d'un déracinement. Face au vertige causé par le décalage
entre le pays quitté et la terre adoptée, ses personnages opposent des volontés tenaces. L'héroïne
des Pays, Claire, se plonge dans le travail universitaire tandis qu'Annette s'attache chaque jour à contempler le
paysage qui s'étale à ses pieds comme si elle voulait s'y enraciner spirituellement. Son regard erre entre
les vallons sans jamais être freiné : l'horizon est, là, aussi
fuyant que celui de son enfance était bouché par les
hautes tours de la cité (et, pour cela, rassurant).
Personnages
aux allures de bêtes de sommes, confondant d'humilité, Paul, Annette
et Claire forcent l'admiration par leur endurance, leur
patience à construire, brindille après brindille, un avenir plus
enviable que celui vers lequel ils étaient engagés. Leur
leçon de vie eût pu être naïve
ou assommante, presque désuète pour le lecteur contemporain pressé... Que nenni ! La plume, ici, danse sur
la page avec bien trop de tact et d'intelligence : point de scories
chez Marie-Hélène Lafon dont l'on sent, sous son vocabulaire
précis, qu'elle
n'inscrit pas une phrase sans l'avoir auparavant vue dans le tableau intérieur qu'elle cherche à nous montrer.
Sensuelle, cette écriture qui court au rythme des pensées des personnages rappelle celle de Pierre Michon. Chez elle comme chez Michon, chaque mot est la nuance d'une image que l'auteur extorque patiemment des tréfonds de son
âme avant de la polir avec les outils de
la raison. Nulle élucubration, nulle ratiocination, tous les éléments de la composition y tiennent leur place avec évidence. Deux peintres à lire.
L'Annonce,
Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel, 196.p. 2009
"Nicole était la gardienne de Fridières, la grande prêtresse de cette religion du pays, clos et voué à le rester autant par les fatalité de sa géographie et de son climat que par les rugueuses inclinations de ses habitants." p. 169.
Pour entendre M.-H. Lafon parler des Pays, cliquez ici.