S’il y a un spectacle naturel à voir de ce monde, c’est sûrement de contempler le spectacle mouvant et émouvant des aurores boréales.
Je ne sais pas de quand remonte mon rêve de partir dans le grand nord à la recherche de ce spectacle céleste. Peut-être à la lecture de Jack London ou d’autres récits se déroulant entre la Sibérie et l’Alaska.
Alors quand mon ami Aaron m’a dit : je pars en Norvège en février prochain, tu veux venir ? Je me suis dit que je devais saisir l’occasion.
Il faut savoir que les aurores boréales sont liées à l’activité solaire : les particules chargées du vent solaire heurtent la haute atmosphère lors d’orages magnétiques provoqués par le soleil. Les particules électrisées sont canalisées aux pôles magnétiques et ionisent les atomes de la haute atmosphère en émettant un photon.
Et surtout, surtout nous sommes présentement au point culminant du cycle où les aurores sont les plus fréquentes et intenses, sans quoi il faudra attendre le prochain pic d’activation solaire dans 11 ans.
Pour quelques raisons financières, la décision ne fut pas facile à prendre, mais quand tu as une occasion pareille, il ne faut pas la laisser passer. D’autant plus qu’Aaron, mon ami canadien que j’avais déjà retrouvé en Irlande l’été passé, a du sang scandinave.
Localisation
Comble du bonheur, une cousine éloignée d’Aaron, Tone, habite Tromsø. Tromsø est une petite ville au-delà du Cercle Polaire, un des meilleurs coins du globe pour voir (facilement) les aurores et le portail de nombreuses expéditions polaires. Il faut se rendre compte que la Norvège est immense : Zürich-Oslo est distant de 1500km quand Tromsø se trouve à encore 1100km plus au Nord, ou 1500km de voiture. Pour un pays de 5mio d’habitants, on peut se dire qu’ils ne se marchent pas dessus.
Préparatifs et matériel photo
Aaron venant d’Irlande, on avait prévu de se retrouver le vendredi soir à Oslo puis de partir le lendemain matin pour Tromsø où on séjournera jusqu’au vendredi suivant avant de passer le week-end chez son autre cousine de retour à Oslo.
En m’y prenant deux semaines en avance (je vous avais dit que la décision avait été longue), j’ai payé mes billets 245€ avec la compagnie Norwegian.
Une bonne chose avec le nord de la Norvège, c’est que son climat n’est pas si rude que ça : grâce au gulfstream, il fait une moyenne de -6°C en hivers bien que les nuits peuvent descendre à -15°C. Bon ça c’était sans me méfier de l’impact du vent.
J’ai donc pris des vêtements techniques, une polaire, un pantalon de ski de fond (pas de ski nordique, trop ample), une veste d’hivers, ma fameuse chapka fourrée de poil de lapin, mes chaussures militaires (au moins qu’elles servent à quelque chose, vu que je ne fais pas l’armée), des chaussettes de ski, des gants et des sous-gants. Très important, les sous-gants pour pouvoir manier l’appareil photo.
Au niveau photo :
- Nikon D600
- Nikkor 16-35mm f/4 (le 14-24mm f/2.8 aurait été un must)
- Nikkor 85mm f/1.8
- Télécommande filaire
- Trépied Manfrotto XXX
- Flash Sb-700
- 4 Cactus Trigger V5
- une lampe torche Led Lenser
- 2-3 bidules pour faire du lightpainting
- on m’a aussi prêté un 70-200mm
L’indispensable ici est d’avoir un grand angle et un bon trépied.
De plus, dans notre monde électronique, vous pouvez télécharger pour votre téléphone futé l’application Aurora forecast qui indique en temps plus ou moins réel la météo spatiale, la carte géographique des aurores et le graphique de l’activité solaire avec même des alertes dans sa version payante.
Aurora forecast
Le voyage et premier ressenti
Prendre l’avion est devenu d’une facilité déconcertante, à chaque fois il m’a fallu moins de 20minutes pour déposer mes bagages et passer la sécurité. Même qu’on ne m’a pas demandé mon passeport une seule fois. Sérieusement, c’est plus simple et rapide de prendre l’avion que d’entrer en boîte un vendredi soir.
Bref, arrivée à Oslo à 19h, nuit noire et un mal de tête épouvantable. Je ne sais pas si c’est à cause du film Django dans l’avion, mais je m’affale misérablement dans la piaule à proximité de l’aéroport dans l’attente d’Aaron. Je suis content de le voir, il a des comprimés.
Le lendemain, debout à 6h dans une bien meilleure forme pour le vol Oslo-Tromsø. Pour cause de billet moins cher, je ne suis pas dans le même avion qu’Aaron mais ceux-ci décollent à 15min d’intervalle. Depuis le ciel, la vue est magnifique une fois que le soleil se pointe. Ben oui, il fait jour assez tôt, vers 9h, et la lumière est ma-gni-fique, splendide, magnifiante, tout baigne dans une douce lumière rose-dorée. De quoi oublier que le wifi est disponible gratuitement mais que le café soluble se négocie à 5€.
Tone, la cousine, et son copain Hokan nous accueillent à l’aéroport. Les bagages récupérés, on embarque dans leur Skoda.
La petite île de Sommarøy
En fait, ils n’habitent pas à Tromsø-même, mais sur la petite île de Sommarøy, 240 habitants pour être précis. Distant de 50km, on circule le long des fjords, la neige recouvrant tout le paysage de son blanc manteau, le tout baigné dans cette magnifique lumière qu’on appelle « Golden Hour » en photographie.
Le couple habite une petite maison avec superbe vue sur la plage (bon, on se risquera pas à la baignade), quand de l’autre côté une montagne en forme de toblerone pointe dans la mer. Un coin magique malgré la température négative et un vent sans fin.
Les premiers jours
Le premier soir on laisse passer notre chance de voir des aurores pour faire la tournée des bars de Tromsø. Malgré les prix prohibitifs, on fera la fermeture, c’est-à-dire 3h. Les Norvégiennes sont plutôt sympa mais ne répondent pas au cliché que je me faisais des belles blondes Scandinaves. Il faudra attendre Oslo pour cela. Le dimanche, on part visiter le Ersfjord, splendide ! Mais le soir venu, c’est la déception : le ciel s’est totalement couvert en l’espace de quelques heures. Cette nuit je rêva d’un retour en larmes à l’aéroport de Zurich sans avoir exaucé mon rêve…
L’attente des aurores
Le jour suivant, on part explorer l’île avec Aaron et on monte jusqu’à l’observatoire situé sur le haut de l’île, une relique de la guerre froide il parait. L’ascension le long d’une sente enneigée et glissante est rude, et parvenu au sommet le vent est ébouriffant, même couvert.
Lundi, le ciel est clair, magnifique !
On sort finalement vers 23h en direction d’une petite crique repérée le long de la route. Le vent souffle et accentue le froid nocturne. Une vague lueur verte s’étend sur l’horizon, à peine perceptible à l’oeil nu. On plante les trépieds dans le sable et la pause longue combinée à la haute sensibilité du capteur révèle bel et bien la présence d’une timide aurore boréale. C’est l’excitation, je suis témoin du phénomène naturel le plus magique à mes yeux ! Cette nuit, l’activité restera calme, c’est-à-dire un faible éclat et pas de mouvement mais quelques clichés rigolos.
Le mardi, parcours en ville de Tromsø et visite du musée consacré au Spitzberg et aux expéditions polaires. Saviez-vous qu’un piège à base de viande de morse et d’un fusil relié à une ficelle a été interdit pour chasser l’ours polaire, car trop efficace ? On y apprendra également tout sur la folie de la chasse aux bébés phoques et les différents aventuriers morts dans leur conquête du Pôle.
Ce soir, l’activité est plus intense : une aurore transperce la colline de Somaroy, l’observatoire semblant cracher un nuage vert contre les étoiles.
Hokan travaille sur une plateforme pétrolière en tant que cascadeur-manutentionnaire (ndlr: traduction non-officielle). Ca veut dire qu’il bosse suspendu entre mer et ciel toute la journée pendant 2 semaines à serrer des écrous et qu’ensuite il a droit à 4 semaines de repos en compensation (et un salaire à faire pâlir un ingénieur suisse). Alors après une balade matinale, on part faire de la grimpe sur glace parce qu’en tant que descendant de Viking, Hokan n’arrive pas rester trop longtemps sur le plancher des rennes. L’avantage est qu’il possède tout le matos et qu’il connait une jolie petite cascade pas loin qui ne sert qu’à son bon loisir ! Merveilleux, après une demi-heure de pataugeage dans la poudreuse, on arrive au pied de 15 mètres de crystal. Après un début hésitant, et beaucoup d’énergie dépensée à planter crampons et piolets, je chope le rythme jusqu’à me faire l’ascension 3 fois de suite !
Les sensations sont différentes de la varappes, engoncé sous de multiples couches, relié à des extrémités tranchantes et façe à une paroie pouvant voler en éclat à chaque assaut des lames, la confiance ne vient pas immédiatement. A chaque attaque, tu te demandes si tes amorces tiennes ou si tu ne vas pas dégringoler dans un fracas de verre brisé. Mais une fois les éléments apprivoisés, quel fun ! Le sport d’hivers le plus cool de la saison !
Le soir venu, Aaron n’a pas l’air très motivé à retourner à la chasse aux aurores. Alors je sors seul.
Lorsque je m’éloigne du halo de l’éclairage urbain, je découvre une lueur verte comme il n’en était pas apparu les soirs précédents ! Excité, j’appelle mon comparse pour qu’il sorte, mais celui-ci reste flegmatique. Que cela ne tienne, je cherche à la hâte une composition, déclenche, me rends compte que mes réglages habituels surexposent l’aurore, réitère. Malheureusement la compo était vraiment pauvre et la mise au point mal effectuée. Je cours ensuite le kilomètre qui me sépare du pont reliant l’ile au continent et le traverse pour tenter ma chance plus loin. Rien de convainquant non plus, alors je rebrousse chemin une heure après alors que le phénomène a faibli.
Je retourne sur un spot de la veille et met à exécution une idée qui me trottait en tête depuis des lustres : déclencher un flash vert dans un parapluie blanc pour faire écho au phénomène céleste. Cette image finira Editor’s choice sur 500px.
Mais la nuit n’était pas finie car en changeant une nouvelle fois de lieu, le ciel se mis à luire d’un vert fantomatique, éclairant tout le paysage de vert. Imaginez une trainée lumineuse commençant au Nord, derrière quelques crêtes effilées, passant au-dessus de votre tête pour s’en finir dans votre dos. Tel un reptile, l’aurore commença à onduler au rythme secret du bal cosmique. Parfois, une étiole se détachait pour mener sa propre danse et moi, seul au monde, m’agitais d’excitation en essayer de capter un maximum du spectacle sur mon appareil photo, devant entre chaque pose tourner le trépied dans une autre direction en ne pouvant réfréner mon émerveillement.
Le bal dura plus d’une heure où je m’essaya à mes techniques préférées entre Strobism et lightpainting. Pas toujours avec le succès escompté mais toujours avec la même délectation.
Le lendemain au petit-déjeuner, Aaron regarde l’application Aurora forecast ayant enregistré toute l’activité solaire de la nuit et me fais : Hey, ça devait être intense hier soir ! T’as eu le pic à 8/10 à 1h39 ?
- Ouais, c’était vraiment incroyable, je ne savais pas où donner de la tête ! - Tout en parcourant l’heure de prise des photos.
Cependant, ma dernière image indique 01:31:28…
Qu’à cela ne tienne, j’ai vécu un voyage extraordinaire en marge du Cercle Polaire et estime avoir fait le maximum dans le laps de temps imparti et avec les conditions sur place. Il parait que la semaine d’après, ils ont été témoin des plus belles et puissantes aurores de la saison. Mais ce n’est pas un phénomène aussi prévisible que la météo et il faut s’en accommoder et vivre avec même quand les éléments ne sont pas en notre faveur, n’est-ce pas ?
Ah oui ! Cet hiver je pars à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada pour une nouvelle quête aux aurores !
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