Portraits d’ailleurs et d’ici(10) : Portraits croisés de Fleur et de Céline, cousines du bout du monde

Publié le 22 septembre 2013 par Chantalserriere

Céline et Fleur ont toutes deux le même ancrage jurassien: Saint-Amour, village au pied du Revermont, juste avant la naissance de l'opulente plaine bressanne qui  s'étend jusqu'à Bourg-en-Bresse. Mêmes racines. Même espace fondateur: Le moulin de la Foule que leur arrière-grand-père acquit en 1933.

Le clocher

qui

émerge

du moutonnement des toits.

La croix de pierre à l'entrée du moulin. Le jardin. La rivière.  Groseilles et framboises. Le grand tilleul au milieu de la cour.Vacances lumineuses, avant d'avoir grandi, partagées avec Nicolas, Delphine, Maud, Matthieu, Coline, et tous les autres cousins et cousines...C'était hier.

Fleur et Céline, aujourd'hui, sont cousines du bout du monde. Presque voisines! Fleur à Singapour.

Céline à Phnom Penh!

Céline porte le nom d'une grand-mère qu'elle n'a jamais connue. Comme elle, grande et belle, véritable reine abeille, elle dirigeait son univers, avec les difficultés de l'après-guerre, sans jamais faillir à la tâche: Quatre garçons, des beaux-parents sous le même toit, comme il était souvent d'usage à l'époque et parce que l'espace du moulin le permettait aussi.

Fleur a grandi en Afrique, au Burundi. Frangipanier au milieu du jardin. Des journées entières dans ses branches. Dodji, le copain de la petite en enfance. Jeannette, Corine, Sandra, Rémy...Les  vacances en France se partagent entre Montceau-les-Mines où vivent ses grands-parents maternels et Saint-Amour. Comme Céline, elle ne connaîtra pas sa grand-mère paternelle qui meurt l'année de sa naissance, en 1972.

Aujourd'hui, Céline, dirige à Phnom Penh, l'Hôtel Amanjaya, un merveilleux hôtel aux chambres au décor précieux. Rideaux de soie aux vastes baies ouvrant sur le Tonlé Sap, cette étrange rivière qui se jette dans le Mékong et, gorgé des eaux de ce dernier au moment de la mousson, inverse son cours. On peut voir la confluence des deux cours d'eau depuis le balcon des chambres et rêver de la mer...

A la tombée de la nuit, sur la terrasse que Céline a créée en faisant disparaître le grenier, apparaissent, surlignés de lumière dorée, la pagode qui se trouve en face de l'hôtel, puis, dans l'enfilade, les toits aigus du Palais Royal. Et Céline règne ici, légère et souriante. Du restaurant, à la terrasse-bar sur le toit, en passant par les corridors et les chambres aux planchers de bois rouge sombre. Son autorité est manifeste, mais tout en grâce. Deux enfants, Léo, 13 ans et Mika, 8 ans  dont la scolarité se déroule au Lycée Descartes, l'école française réputée de la capitale du Cambodge. Un compagnon, Marc, spécialiste de plongée,  épaule la vie domestique. Comment pourrait-il en être autrement?  Les horaires, lorsqu'on dirige un hôtel, n'existent pas...

Fleur, elle, dirige un département de langues dans une grande école internationale de Singapour.

Svelte et belle, c'est une reine abeille aussi. Trois enfants: des jumeaux de 3 ans, Louis et Théo, et une grande fille de 7 ans, Isabella, qui est au moins aussi jolie que Blanche Neige. Stephen, son mari anglais, rencontré en Nouvelle Zélande, où Fleur a appris son métier d'enseignante après des études de traduction en France, est professeur de théâtre dans le même établissement. Est-il utile d'ajouter qu'il épaule également la vie domestique? Comment pourrait-il en être autrement ? Les horaires, lorsqu'on se trouve à un poste de responsabilités n'existent pas...qui plus est lorsqu'on a des enfants encore tout petits.

Céline évoque son sentiment de culpabilité vis-à-vis des enfants au moment où elle a accepté, il y a environ six ans, ce poste de "General Manager". Il a fallu travailler dur! Son temps de présence auprès d'eux était compté. Outre son investissement dans les domaines comptable et  de gestion, elle a appris le khmer, renforcé son anglais, et puis elle s'est lancée, sans plus d'hésitations, une fois la décision prise. La réussite est incontestable.

Fleur, quant à elle,  a dû faire récemment des choix.  Lorsqu'elle attendait ses jumeaux, elle s'est trouvée devant une proposition de poste de direction dans l'école. Elle a refusé. Les bébés allaient avoir besoin d'elle. La première enfance est si importante! Maintenant, les jumeaux ont 3 ans et Fleur s'octroie un peu plus de temps pour avancer vers ce qu'elle aime:  s'attacher à la valorisation des cultures. Au sein de ses classes tout d'abord. Puis, à travers le livre. Donner le goût des livres aux enfants en rentrant dans l'univers des bibliothèques et des librairies. Un projet encore débutant qui pourrait bien l'emmener sur les chemins de nouvelles aventures...

Ainsi, en rompant les ancrages de leur barque initiale, en partant loin, bien plus loin encore que certains parents voyageurs, Céline et Fleur, cousines du bout du monde, parviennent-elles sans état d'âme à concilier leurs rôles de femmes  et de mères avec  la réussite de leurs vies professionnelles. L'harmonie qui se dégage de leurs gestes quotidiens et leur force sont impressionnantes. Elles avancent, sereines et accomplies, se faisant parfois signe, comme on le faisait autrefois  d'un geste de la main, par la fenêtre, lorsqu'on habitait pour la vie entière dans le même village,  par petits messages... sur Skype! Le monde change. Elles le savent mieux que quiconque. Alors elles anticipent. Car en définitive, n'ont-elles pas compris avant tant d'autres, que le monde d'aujourd'hui, mais aussi celui de demain, est d'une certaine manière, un peu entre leurs mains?

Photos: Guy Serrière. (exceptées les 2 premières).