Portraits d’ailleurs et d’ici (11): Yvonne Clerc, à bicyclette, sur les chemins de la liberté…
Publié le 22 septembre 2013 par Chantalserriere
Quand elle partait de bon matin, quand elle partait sur les chemins, à bicyclette... ce n'était pas, comme dans la chanson d'Yves Montand, pour flâner avec ses amis, dans la campagne en fête. Quand elle s'en allait ainsi, à bicyclette, en effet, c'était la guerre. Institutrice à Saint-Amour, en jeune femme libre, elle avait choisi de ne pas accepter le nouvel ordre imposé par le régime de Vichy. Elle avait choisi, malgré le danger d'un tel choix, d'être hors système, de ne pas accepter la collaboration avec l'envahisseur nazi. Juste une question de mise à distance! Et le choix devenait évident qui ne l'était pourtant pas pour nombre de ses contemporains.
Agent de liaison, elle a piloté les jeunes femmes du SOE parachutées de Londres pour appuyer la résistance française. Le film "Les femmes de l’ombre"en a retracé de façon romanesque l’épopée dangereuse et souvent dramatique.
Seule ou accompagnant Diana Rowden, alias Paulette, son homologue d’Outre Manche, elle a sillonné les routes du Jura et s’est rendue parfois jusqu'à Lyon pour délivrer les messages dont on la chargeait. Les risques étaient grands. Un mari, Henri Clerc, chef de maquis, recherché par les Allemands. Un beau-père déporté à Buchenwald. Une toute petite fille qu'il faut cacher pour qu'elle ne soit pas prise en otage. Et, elle-même, entrée en clandestinité pour devenir à son tour l’une de ces femmes de l’ombre.
Elle s'appelle Yvonne Clerc. Elle aura bientôt cent ans. Silhouette gracile, elle se tient droite. Il y a trois semaines, elle se cassait le col du fémur. La voici, devant nous, marchant à nouveau, appuyée sur la jolie canne de bambou, douce, légère et sure, que viennent de lui offrir ses petits-enfants, et qui semble ajouter à son élégance naturelle, une touche de coquetterie. En ce samedi 22 septembre 2013, elle vient de recevoir la médaille de chevalier de la Légion d'honneur. Saint-Amour, ville où elle est née et a toujours vécu lui rend hommage. Elle prononce le discours de remerciements, émouvant, qu'elle a bien sûr écrit elle-même, d'une voix feutrée, mais ferme. L'émotion ne la fait pas trembler. Elle sait contrôler l'émotion. Toute sa vie, elle a su dominer ce qui risquait de la submerger. C'est une femme-courage. C'est une femme debout. Mais sans rigidité. En toute droiture et discrétion. Sourire si chaleureux et regard ouvert, encore et toujours, sur ses enfants et petits-enfants qu'elle adore et dont elle est très fière, mais aussi sur cet autre qui l'approche, et sur la cité qui l'entoure, et sur le monde qui la fait parfois s'indigner et s'engager à nouveau. Juste une question de distance! Ce pas de côté qui permet de mieux appréhender la réalité quotidienne. De mettre en pratique ce que les discours savants ne savent jamais réaliser. Et de faire des choix, à vingt ans comme à cent ans. Le meilleur des choix possibles, en toute lucidité. Puissions-nous suivre son exemple lorsque nous tentons d’emprunter à notre tour les chemins de la liberté!
Photo de Maurice Richemond empruntée à cet article du Progrès