Quand elle partait de bon matin, quand elle partait sur les chemins, à bicyclette... ce n'était pas, comme dans la chanson d'Yves Montand, pour flâner avec ses amis, dans la campagne en fête. Quand elle s'en allait ainsi, à bicyclette, en effet, c'était la guerre. Institutrice à Saint-Amour, en jeune femme libre, elle avait choisi de ne pas accepter le nouvel ordre imposé par le régime de Vichy. Elle avait choisi, malgré le danger d'un tel choix, d'être hors système, de ne pas accepter la collaboration avec l'envahisseur nazi. Juste une question de mise à distance! Et le choix devenait évident qui ne l'était pourtant pas pour nombre de ses contemporains.
Agent de liaison, elle a piloté les jeunes femmes du SOE parachutées de Londres pour appuyer la résistance française. Le film "Les femmes de l’ombre"en a retracé de façon romanesque l’épopée dangereuse et souvent dramatique.
Seule ou accompagnant Diana Rowden, alias Paulette, son homologue d’Outre Manche, elle a sillonné les routes du Jura et s’est rendue parfois jusqu'à Lyon pour délivrer les messages dont on la chargeait. Les risques étaient grands. Un mari, Henri Clerc, chef de maquis, recherché par les Allemands. Un beau-père déporté à Buchenwald. Une toute petite fille qu'il faut cacher pour qu'elle ne soit pas prise en otage. Et, elle-même, entrée en clandestinité pour devenir à son tour l’une de ces femmes de l’ombre.
Elle s'appelle Yvonne Clerc. Elle aura bientôt cent ans. Silhouette gracile, elle se tient droite. Il y a trois semaines, elle se cassait le col du fémur. La voici, devant nous, marchant à nouveau, appuyée sur la jolie canne de bambou, douce, légère et sure, que viennent de lui offrir ses petits-enfants, et qui semble ajouter à son élégance naturelle, une touche de coquetterie.
Photo de Maurice Richemond empruntée à cet article du Progrès