Me trouvant devant une sorte d’incapacité à rédiger une note de lecture classique du très beau livre d’Hélène Sanguinetti, Le Héros, je propose ici un travail critique par fragments, notes de lecture sur le vif (datées), suivies d’une série d’approches par facettes.
1. Au fil de la
lecture :
• ... Hélène Sanguinetti dont le livre Le
Héros est arrivé hier avec une dédicace qui me touche infiniment (pour
vous, gardienne – passeuse – vivante), livre qui pour l’instant fonctionne
comme une énigme excitante mais où bruit et tremble un double sens (de
lecture), articulé à la fois sur l’intelligence et l’émotion. (16 avril 2008)
• ... retrouver Hélène Sanguinetti : mystère et séduction toujours entiers, de quoi parle-t-on ici, je ne le sais pas, n’ai peut-être pas à le savoir vraiment, il faudrait sans doute laisser la raison raisonnante, oublier le côté enquête qui me paraît inhérent à toute lecture de poésie (déformation professionnelle peut-être ?), pour se laisser aller à ce qui émane du texte, en une lecture flottante, non prédatrice, ouverte. (17 avril 2008)
• Petits pans de prose, en curieuse disposition non encore élucidée, qui seraient exploration sous toutes ses facettes de l’idée, du concept, de la figure, du mythe, du héros ? Je ne sais pas. Aller jusqu’au bout (d’autant que j’aime ce livre), en lecture flottante.... sans chercher à comprendre dans ce premier temps. Laisser jouer la lumière du texte, car il y a une lumière, une sorte de vibration du texte, sans chercher à la capturer et à la décomposer dans le prisme de l’analyse. (19 avril 2008)
• Ce texte dégage une extrême étrangeté, très prenante. Le sens se perd sans cesse comme un filet d’eau dans le sable (la page a ses espaces désertiques, les mots sont assemblés comme de petits ergs), on le poursuit sans fin, on tente de le construire, il échappe, se reforme, on détecte une suite d’allusions, on croit avoir édifié un petit quelque chose et cela se perd à nouveau et pourtant l’attention est totalement captée. Et la jouissance de lecture intense. (29 avril 2008)
• Terminé hier la première lecture du livre d’Hélène Sanguinetti, Le Héros. Et me trouve confrontée à une grande perplexité et à une difficulté : comment écrire à propos de ce livre, comment en rendre compte, par quel bout le prendre ? Et si c’était précisément par ce qui échappe, par ce qui se dérobe, par ce qui se diffracte à chaque instant, du sens, du point de vue ? (2 mai 2008)
Interlude (correspondances)
Suivre ces diffractions, ces réfractions à l’infini du sens, des sens
(double sens) possibles....
Quelque chose qui échappe, à l'analyse, à la "prise", qui renaît sans cesse......
Autre approche du sens, où les circulations entre les temporalités, les registres, les références s’établissent en permanence et en continu.
2. Indices de réflection(s)
« Faire de petits pas en s’éloignant sans cesse, se rapprocher, ne rien trouver, laisser venir, [...] (20)
• sur le héros
Le héros fait titre et il se démultiplie. Le héros serait le « sujet »,
mais un sujet très contemporain, protéiforme, tour à tour tragique et
dérisoire, une poupée bourrée d’allusions ; il est invoqué, avec minuscule
ou majuscule, pour dire qu’il n’y a pas de héros, qu’il n’y a pas de sens
unique, que le héros est aussi et en même temps qu’il est héros, un salaud, un
lâche, un traitre, que le héros (pas plus que le texte ou la poésie sans doute)
ne doit pas être sacralisé. « Le héros enlève une poussière sur sa manche »
(58) ; « Grand Héros a soif » (44). Il faudrait se livrer à un
relevé strict des occurrences du mot "héros" pour bien interpréter
cette multitude de visages, de postures et d’attitudes que lui prête Hélène
Sanguinetti. Qui s’interroge sans doute aussi ici sur la fiction, sur la narration,
sur cette sorte de cristallisation qui se fait, souvent à notre insu, sur la
figure du héros, « appelant et
meneur de mule » (7). Le héros est un estropié (8). « Chef de
rien »(66)
Déconstruire le mythe du héros, mais en le revisitant ? Ou tout simplement
en opérant un croisement génétique du concept héros avec la vie ? : « dans
les oreilles du héros et dans son œil habite alors cet improbable tourbillon,
la vie ».(65)
• sur le sens
Ce qui est en jeu ici, n’est-ce pas aussi la question du sens unique et celle,
connexe, de la complexité du monde ? Déconstruire le linéaire de la
phrase, du livre, de la pensée, rompre l’embrigadement de l’esprit, réaction
affolée à la pluralité des mondes ? Multiplier les points de vue, les
points d’écrit. Entreprendre une approche de la complexité, à partir d’éclats. « petits bouts de glace errants / à la surface
de l’eau »(86). Éclats empruntés à tous les univers, fictionnels en
particulier, récits, contes, épopées mais aussi à l’autobiographique mais aussi
à l’histoire la plus contemporaine, couper le personnel avec le général, tisser
ensemble les personnages légendaires, les héros des livres et les proches.
Abattre les cloisons factices entre le culturel et le vécu, entre la référence
et l’existence, au besoin la plus triviale. Montrer comment tout baigne,
paysages, images, constructions mentales, dans la référence, comment tout
repose sur des substrats infiniment intriqués et complexes. Refuser la mise en
ligne castratrice et réductrice, se laisser porter par le flot de la diversité.
Déconstruire le mythe de l’unité et de la cohérence de la pensée. Mais en
faisant jouer cette dernière. Jeu grave, jeu heureux « car toujours,
poesia : joie horreur » (91)
• sur la construction(s)
Complexes, construites, diffractées elles aussi, les images seraient-elles la
source de la lumière et de la vibration de cette poésie : « Arbres
vifs qui ont les pieds si loin et sous la mousse, une odeur de cavaliers »
(49). Il y aurait là, mutatis mutandi,
quelque chose de la démarche d’un Schwitters, ramassant des matériaux
hétéroclites, de rebut, pour former nouvelles constructions, merzbau ? « Soldat, tu roules une cigarette entre deux
corps tombés la langue tient debout sur le papier, pont Euxin dans le ciel,
Fourmi la rouge bringuebalante traverse, tu penses à quoi sur la route ? »(18)
Les jeux typographiques sont complexes. Alternance du romain et de l’italique,
textes disposés le plus souvent en trois séquences occupant le haut, le milieu
et le bas de la page, mais parfois tout un bandeau calé en bord de page, en
petites capitales. Comme une manifestation des registres, très nombreux
registres sur lesquels joue Hélène Sanguinetti, empruntant à tous les univers
de l’écrit et du dit, créant des sortes d’hybrides très énigmatiques.
Coda
Impossible de conclure ! Sauf à dire le plaisir de cette lecture, l’énigme
entière que n’a pas réussi à entamer cette tentative d’approche. Ce héros fonctionne comme une matière noire
qui émettrait un rayonnement qu’on ne sait pas déchiffrer mais dont on ne peut
détacher son regard...car on sait qu’il fait sens dans son énigme.
Hélène Sanguinetti, Le Héros, Flammarion, 2008
→ Qui a parlé du Héros ou de Hélène Sanguinetti ?
Angèle Paoli, ici
La Maison des écrivains et de la
littérature, ici
Et Claude Ber qui a accueilli
Hélène Sanguinetti comme invitée du mois d’avril sur son site.
©florence trocmé