Les Damnés- La lignée des Petrova- Chapitre 16

Noura se dégagea légèrement de ces lèvres qui caressaient les siennes et posa son front sur la joue d’Elijah, essayant de remettre un peu d’ordre dans ses idées plus que confuses. Bien qu’elle eût beaucoup de mal à l’admettre, les arguments du vampire étaient troublants. Si ses soupçons se confirmaient cela signifiait qu’elle s’était fait allègrement avoir depuis des semaines et qu’elle avait peut-être mis sa famille en danger à cause de son imprudence. A la fois honteuse et furieuse contre elle-même, elle s’écarta des bras pourtant réconfortants qui l’enlaçaient.  Elijah la laissa s’échapper à regret. Même si c’était ce qu’il avait voulu obtenir, la voir assaillie par les doutes le peinait.

- J’espère sincèrement me tromper, dit-il doucement.

Il tendit la main pour dégager les mèches folles échappées de sa coiffure et qui dissimulaient son visage baissé. Il lui releva doucement la tête. Il s’attendait à lire dans son regard du désarroi ou de l’inquiétude mais certainement pas à voir briller, l’espace d’un très bref instant, cette lueur étrange mais curieusement familière. Cette froide détermination, annonciatrice de futures catastrophes, il l’avait souvent remarquée chez Anya avant qu’elle prenne ses pires décisions, mais qu’il ne l’avait jamais encore vue dans le regard de Noura.

- Je l’espère aussi parce que dans le cas contraire cela signifie qu’à cause de moi Ivan est parti rejoindre un homme qui travaille pour ou avec l’assassin de sa mère, répondit-elle d’une voix qui s’étrangla.

Elle avait imperceptiblement tourné le regard vers la porte de la grange.

- Ni pense même pas, intervint Elijah avant même qu’elle ait émis l’hypothèse de partir à leur rencontre. Maïa a besoin de toi ici et, de plus, nous ne connaissons pas leurs intentions. Ce n’est pas le moment d’agir de manière inconsidérée. Peut-être a-t-il attiré Ivan à extérieur de la propriété pour nous en éloigner aussi et pouvoir approcher plus facilement Maïa.

- Si c’était leur but, Noah a eu mille occasions de s’en prendre à elle. Pourquoi attendre ? Pourquoi jouer…

Noura s’interrompit brusquement, tout d’un coup saisit par une évidence qu’elle se maudit de ne pas avoir vu plus tôt. Elijah l’interrogea du regard.

- Ils veulent le grimoire. Il attendait que je lui révèle l’endroit où je l’ai dissimulé, répondit-elle à sa question silencieuse.

- Viktor veut tuer Klaus grâce au livre, conclut Elijah en serrant les mâchoires.

Décidément, l’acharnement de son père était devenu une véritable énigme pour lui. Que Viktor se soit senti blessé dans son orgueil et son honneur en apprenant l’infidélité de leur mère, il pouvait aisément le concevoir. Sa vengeance avait largement été à la hauteur de ce que Ludwick et les siens avaient fait subir à sa famille. Mais ce qu’il était devenu en tant que vampire dépassait l’entendement. Il ne s’était jamais senti proche de ce père froid et autoritaire mais jamais il n’aurait pu  imaginer qu’il deviendrait ce monstre prêt à toutes les bassesses pour nuire à ce fils illégitime, allant jusqu’à s’en prendre à des enfants et à les poursuivre 15 ans après.

- Il n’y a quelque chose que je ne comprends pas, reprit Noura en faisant les cents pas devant Elijah. Si le but était de me convaincre d’utiliser le livre contre Klaus – et ça, je dois avouer que Noah n’aurait eu aucun mal à le faire-, qu’est-ce qui pouvait lui certifier que je ne l’utiliserai pas aussi sur Viktor par la même occasion?

- Noah avait peut-être l’intention de te convaincre que Viktor était un saint homme en pèlerinage dans le coin pour prêcher l’amour de son prochain. Vu tout ce qu’il t’a fait avalé, il aurait probablement réussi à te le faire croire tôt ou tard, ne put s’empêcher de railler Elijah avec néanmoins une pointe d’amertume.

Noura stoppa net et fusilla le vampire du regard. Elle chercha vainement une réplique quelconque pour lui clouer le bec et faire disparaître son sourire faussement condescendant. Mais c’était son bec à elle qui était cloué et toutes les remarques qu’elle aurait pu faire l’auraient probablement desservies. Elle capitula donc en désespoir de cause et reprit ses va et vient sous le regard narquois d’Elijah.

- Ça ne répond pas à ma question.

- C’est sûrement pour cette raison que Viktor a besoin de Noah : pour jeter le sort à ta place.

- Il lui faudrait les pouvoirs de ma famille pour ça, objecta Noura.

- La formule utilisée par Anya pour se les approprier est toujours dans le livre, non ?

- Oui mais Noah sait très bien ce qu’il risquerait. Je lui ai raconté ce qui est arrivé à Zoya …et à Anya aussi, reprit-elle en prenant tout d’un coup conscience de tout ce qu’elle avait pu lui raconter.

Il fallait absolument qu’elle apprenne à tenir sa langue et à réfléchir avant d’agir. Et de préférence les deux en même temps, cela lui aurait évité de se compromettre comme elle l’avait fait. En particulier la veille. Les images de sa nuit avec Noah lui revinrent brutalement en mémoire charriant avec elle une bouffée de colère dont la carriole, garée devant elle, fit largement les frais. D’un coup de pied rageur dans la roue, elle fit voler l’engin à travers  la grange. Celui-ci se fracassa contre le mur et tomba en pièces détachées sur le sol.

Pour le coup, Elijah n’eut, à ce moment là, aucun mal à se rappeler quelle était la véritable nature de la jeune femme et n’eut également aucun mal à comprendre quelle partie de l’anatomie de Noah elle s’était imaginée frapper. Il jugea également opportun ravaler la remarque sarcastique qui lui brûlait pourtant la langue au cas où…

- Il reste encore beaucoup de zones d’ombre et on doit rester prudents, reprit-il en s’approchant  de  la jeune femme qui, les poings sur les hanches, regardait froidement le cadavre du pauvre véhicule.

Lorsque la jeune femme tourna brusquement la tête vers lui, il suspendit le geste qu’il avait ébauché en vue d’une caresse réconfortante. Cette maudite lueur dans son regard venait de réapparaître. Le vampire plissa les yeux, soupçonneux, et avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, l’interrogea sans détour :

- Je n’aime pas ce regard. Qu’est-ce que tu as en tête ?

- Tu as parlé de tes doutes à quelqu’un d’autre ? demanda-t-elle en ignorant sa remarque.

Elijah se contenta d’un signe de tête négatif en guise de réponse avant de reprendre :

- Je sens que je ne vais pas aimer ce que tu as dans la tête.

Pour toute réponse, elle lui adressa un sourire malicieux qui le glaça littéralement.

****

Les bourrasques de vents avaient dépouillé les arbres de leur manteau de neige et de givre et, dans l’obscurité de la nuit qui avait envahi la forêt, ils semblaient former au dessus de la tête d’Ivan une voûte noire et menaçante. Pourtant, le jeune homme  s’était enfoncé dans ces sous bois inhospitaliers sans la moindre hésitation, courant à en perdre haleine, évitant tant bien que mal les branchages qui ralentissaient sa course et lui griffaient le visage. Le terrain accidenté et la neige, qui dissimulait sournoisement les obstacles et les creux du terrain, le firent trébucher à plusieurs reprises. A chacune de ses chutes, il se relevait avec plus de difficulté tant ses membres étaient engourdis par le froid mordant qui s’était subitement abattu après le coucher du soleil.

Un point de côté l’obligea à ralentir. A bout de souffle, il s’arrêta et prit appui contre un arbre. Plié en deux, il essaya de reprendre laborieusement sa respiration tout en inspectant les alentours  pour   tenter de se repérer.  Mais quel que soit l’endroit où se posait son regard, il  ne voyait que le mur de plus en plus opaque de la nuit. Il appuya sa tête contre le tronc rugueux et ferma les yeux pour se concentrer sur autre chose que les battements furieux de son cœur qui résonnaient jusque dans ses oreilles. Au loin, il crut percevoir le bouillonnement  de la rivière qui coulait en contre bas. Il s’apprêtait à repartir et à se diriger vers ce repère familier qui  allait lui permettre de sortir de cette forêt lorsque que le hurlement de rage que  poussa Viktor en se rendant compte de sa fuite, retentit dans le silence. Le cœur battant à tout rompre, Ivan reprit aussitôt sa course effrénée, s’attendant à tout moment à voir apparaître devant lui la silhouette de l’originel.

Il glissa sur les pentes escarpées et enneigées, manquant à plusieurs reprises de se blesser sur les rochers de plus en plus nombreux sur sa route au fur et à mesure qu’il approchait de la rivière. Il dévala littéralement l’une d’entre elle et resta un moment étourdi avant de pouvoir se relever. Quelques mètres en contre bas d’une paroi abrupte, les eaux de la rivière s’écoulaient avec violence dans un vacarme assourdissant. Ivan cherchait des yeux un quelconque moyen de traverser cet obstacle  lorsque que la voix de Viktor, qui le surplombait du haut du talus  qu’il venait de dévaler, le pétrifia d’effroi.

- Tu croyais sincèrement pourvoir m‘échapper aussi facilement ?

Non bien sûr, il ne le croyait pas mais il l’avait espéré de tout cœur. Et cette fuite vaine valait mieux que de rester effondré sur le sol de cette cabane en attendant que ce vampire lui fasse subir le même sort qu’à sa mère. Tout valait mieux que cela. Même finir englouti par les eaux tumultueuses qui se présentèrent soudain à lui comme une échappatoire totalement désespérée. Il sauta sans hésitation, arrachant un hoquet de surprise à l’originel qui se précipita sur le bord.  Il vit le jeune homme être entraîné, ballotté et englouti par les eaux furieuses avant de disparaître bientôt complètement sous la surface.