Les comédiens français donnent avec intensité ce huis-clos glaçant et obscur signé Harold Pinter, nonobstant une mise en scène de Claude Mouriéras honnête mais proprette (trop "Paris 6ème"...) et parfois timorée. Aussi sommes-nous sortis un peu contrariés du Vieux-Colombier où la pièce se joue jusqu'au 24 octobre, même si le moment ne fut pas mauvais. Merci la troupe.
Cela démarre sur le ton de la comédie. La suite s'avérera nettement moins cocasse. Meg et Peter forment un couple qui n'a plus grand chose à se dire, n'échange plus que banalités, se parle sans s'écouter. Lui est souvent blessant à l'égard de sa moitié. Ils tiennent une pension de famille, hébergent Stanley, leur seul client. Meg prend grand soin de lui. Trop peut-être. Leur rapports sont troubles. Et tandis que Peter accepte de loger deux voyageurs aux intentions menaçantes envers Stanley, sa femme se lance dans l'organisation d'une soirée pour l'anniversaire de ce dernier. Qui s'en souviendra longtemps...
Ils ne sont pas brillants, vraiment pas, les personnages de Pinter, qui dans son oeuvre met en lumière les comportements les moins glorieux, pour ne pas dire les plus laids, du genre humain. De chacun, nous ne saurons quasiment rien. Dans un flou volontairement entretenu par l'auteur qui lui tend là un miroir peu flatteur, le spectateur ne parviendra à distinguer les "bons" des "mauvais". La vérité du mensonge. Il assistera, ahuri et tourmenté, passant du rire à l'effroi, à une sauterie virant à l'horreur, avant que le calme apparent du quotidien de la pension ne reprenne ses droits. Comme si rien ne s'était passé. Au programme délation, lâcheté, manipulation, mensonges, règlements de comptes, violence, viol, torture... N'en jetez plus !
L'excellente Cécile brune compose avec brio une Meg soumise, encaissant sans broncher, habitée d'un mal-être profond, fermant les yeux sur l'insupportable, dont les excès d'alcool révéleront un pathétisme bouleversant. Remarquable prestation. Celle de Jérémy Lopez l'est tout autant. Il campe un Stanley odieux, abject à souhait, finissant détruit, tabassé, un bras cassé, les yeux crevés. Eric Génovèse et Nâzim Boudjenah incarnent ses bourreaux, d'une surprenante drôlerie. Nicolas Lormeau (Peter) en genre de collabo ne voulant rien savoir des atrocités perpétrées chez lui, est absolument parfait. Marion Malenfant, enfin, dans un rôle moindre, complète impeccablement cette distribution réussie.
Mais la modeste pension new-yorkaise imaginée par Yves Bernard, scénographe, a l'allure d'un loft pour cadre supérieur. Mais la violence éclate avec douceur et élégance. Mais l'horreur paraît souvent bien supportable au spectateur. Comme si le metteur en scène avait eu peur de le traumatiser avec des images trop fortes. Pourquoi aseptiser tout ça ? C'est bien dommage...
Pour les comédiens, pour Pinter, le spectacle reste à voir cependant.
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Photos : Christophe Raynaud de Lage / Collection Comédie Française