Le droit des marques tiré par les cheveux

Publié le 20 septembre 2013 par Gerardhaas

A propos de CA Versailles, 2 juillet 2013, RG n°12-04490

Une société spécialisée dans la distribution de produits capillaires et cosmétiques commercialise en France des produits de fabrication japonaise permettant de défriser les chevelures, dont l’application doit être réalisée par un professionnel de la coiffure formé à cet effet.

Ces produits sont commercialisés sous les marques verbales françaises « Lissage permanent japonais » et « Lissage japonais » enregistrées respectivement en septembre 2006 et novembre 2007 pour désigner notamment les « cosmétiques et lotions pour les cheveux » en classe 3.

Cette société a alors assigné en contrefaçon de marque et concurrence déloyale un concurrent qui vendait des produits identiques sous la marque « Lissage Japonais Quantum ».

Faisant valoir que les marques « Lissage permanent japonais » et « Lissage japonais » qui lui étaient opposées étaient dépourvues de caractère distinctif, le concurrent poursuivi obtint à titre reconventionnel la nullité de l’enregistrement de ces marques au visa des articles L. 711-2 et L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle.

La Cour d’appel de Versailles infirme le jugement sur ce point, car elle estime que les pièces versées aux débats (articles de presse, extraits de sites Web) ne permettent pas de démontrer suffisamment qu’à la date de leur dépôt à titre de marques en 2006 et 2007, les expressions « Lissage japonais » et « Lissage permanent japonais » étaient dépourvues de toute distinctivité pour désigner les produits et services visés aux dépôts.

Néanmoins, bien que validant l’enregistrement desdites marques, la Cour d’appel de Versailles déboute son titulaire de son action en contrefaçon de marque.

En effet, elle énonce que « si la validité d’une marque s’apprécie au jour de son dépôt, en revanche, lorsqu’un tiers poursuivi pour contrefaçon de marque fait valoir que cette marque est la désignation générique ou usuelle des produits et services pour lesquels il en a fait usage, l’étendue de sa protection doit s’apprécier à la date à laquelle a commencé l’usage prétendument contrefaisant », soit en l’espèce en 2009.

Or les pièces versées aux débats semblent établir qu’au moment où l’usage prétendument contrefaisant a débuté, les expressions « Lissage japonais » et « Lissage permanent japonais » étaient amplement reprises et utilisées, dans leur acception courante, sur de nombreux sites internet, de sorte qu’elles étaient perçues par le public pertinent dans le secteur de la coiffure comme la désignation nécessaire ou usuelle de produits cosmétiques capillaires et une technique de lissage pour les cheveux mise au point au Japon.

La cour en déduit que le concurrent poursuivi pouvait valablement prétendre que les expressions « Lissage japonais » et « Lissage permanent japonais » étaient devenues usuelles auprès du public pertinent, constitué des utilisateurs et des professionnels dans le domaine de la coiffure, pour désigner des produits capillaires et une technique de lissage du cheveu, de sorte que la société titulaire des marques éponymes ne pouvait pas lui en interdire l’usage dans le langage courant.

La position adoptée par la Cour d’appel de Versailles rejoint celle prise par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, notamment dans un arrêt « Troussepinette » du 13 décembre 2011.

Toutefois, dans la logique du droit des marques dont la fonction essentielle est de garantir l’origine des produits marqués, en les différenciant des produits concurrents, une telle solution apparaît peu convaincante.

En effet, cela aboutit à laisser enregistrer des marques dépourvues de caractère distinctif inopposables aux tiers par leur titulaire.

A ce titre, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles paraît être critiquable, en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle visant à obtenir la déchéance des droits du titulaire des marques « Lissage japonais » et « Lissage permanent japonais » sur le fondement de l’article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle qui énonce qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce d’un produit », motif pris qu’il n’est nullement établi en l’espèce que la demanderesse ait fait preuve de passivité face à l’emploi massif et amplement répandu des dénominations « Lissage japonais » et « Lissage permanent japonais ».

En effet, aucune précision n’est apportée sur les preuves produites par le titulaire des marques litigieuses à démontrer qu’elle a lutté en vain contre la dégénérescence de ses marques, telle que constatée par la Cour. Or, dès lors qu’il était constaté que les marques litigieuses étaient devenues la désignation usuelle dans le commerce de produits, il appartenait pourtant à la propriétaire de ces marques de justifier d’actions positives destinées à éviter un tel état de fait.

Finalement, le droit des marques conduit parfois à des situations quelque peu tirées par les cheveux.