Angela Merkel, chancelière indéboulonnable ?

Publié le 20 septembre 2013 par Délis

Dans les derniers jours de la campagne pour les élections fédérales du 22 septembre en Allemagne, les sondages se sont resserrés entre la coalition de droite, conduite par Angela Merkel, et l’opposition de gauche. Pourtant, la plupart des observateurs continuent à s’accorder sur une probable victoire de la chancelière sortante. Alors qu’on ne compte plus les dirigeants européens chassés du pouvoir à cause de la crise économique, comment expliquer cette résistance d’Angela Merkel ?

Une popularité à son zénith

Huit ans à la tête de l’Allemagne n’ont pas altéré la popularité de la chancelière aux yeux de ses concitoyens. Sa cote, mesurée par les différents instituts, atteint en septembre des sommets : quand le baromètre du Forschungsgruppe Wahlen demande aux Allemands de noter entre -5 et 5 leurs dirigeants politiques, ils accordent une note moyenne de 2,2 à la chancelière. Un chiffre qui se situe dans la moyenne de ceux obtenus depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2005.

Les autres dirigeants politiques du pays s’en tirent moins bien, avec 0,8 de moyenne pour le candidat social-démocrate à la chancellerie Pier Steinbrück, -0,1 pour le leader des Grünen (les Verts) Jürgen Trittin et -0,3 pour le ministre des Affaires étrangères et dirigeant du parti libéral FDP Guido Westerwelle. Plus proche de nos cotes de popularités classiques, la dernière livraison de l’institut Infratest Dimap indique que 70% des Allemands se disent satisfaits de l’action d’Angela Merkel, qui se situe en première place du classement. Elle se situe loin devant le ministre des finances Wolfgang Schäuble, qui se situe en deuxième place avec 64% de satisfaction. A gauche, Pier Steinbrück n’obtient que 47% de satisfaction, malgré une hausse de 12 points à la suite de son débat réussi face à la chancelière en début de mois. Et si l’élection pour la chancellerie était directe, Angela Merkel obtiendrait 49% des voix, contre seulement 32% pour le candidat du SPD. Encore ce dernier peut-il s’estimer satisfait : jusqu’à cet été, la candidate de la CDU/CSU tutoyait les 60% dans les sondages…

Opinion à l’égard des principaux dirigeants politiques allemands

Source : Forschungsgruppe Wahlen – Politbarometer

Cette popularité de la chancelière sortante s’ancre à la fois dans une image personnelle favorable et dans une perception positive de l’économie allemande. Ainsi, la vague d’août du baromètre Infratest Dimap indique que 81% des Allemands jugent Angela Merkel compétente, 79% qu’elle a l’étoffe d’un leader, 69% qu’elle est sympathique et 65% qu’elle est crédible. Pour 54% des sondés, la chancelière est même « la garante que l’Allemagne se porte bien malgré la crise ». On le voit à travers ces chiffres, le préjugé favorable à la personnalité de la candidate de la CDU/CSU va largement au-delà de son propre camp.

L’importance de l’économie

Plus profondément, c’est la perception largement majoritaire d’une amélioration de la situation économique qui explique les bons sondages pour la chancelière. Alors que la situation économique a couté le pouvoir aux partis sortants de nombreux pays européens depuis 2009, Angela Merkel bénéficie d’une conjoncture nettement plus favorable. Selon une étude réalisée au niveau européen par l’Ifop, seuls 37% des Allemands estiment que leur pays est « encore en pleine crise », alors que ce chiffre atteint 69% en France, 68% en Italie et 66% en Espagne.

Surtout, la crise est peu ressentie sur le plan personnel. Ainsi, les enquêtes du Forschungsgruppe Wahlen montrent que 44% des Allemands jugent la situation économique de leur pays bonne, alors que ce chiffre atteignait à peine 10% avant la précédente élection fédérale, en septembre 2009. A l’inverse, seuls 9% des sondés estiment que l’économie allemande est dans une mauvaise situation. Les sondés sont même encore plus positifs en ce qui concerne leur situation économique personnelle : 57% la jugent bonne, un chiffre sur lequel la crise n’a tout simplement eu aucun effet, puisqu’il est en constante progression depuis 2008. Parallèlement, seuls 6% des sondés estiment que leur situation économique et financière est mauvaise. Une perception globalement positive qui explique pourquoi plus des deux-tiers des Allemands (71% selon Infratest Dimap) estiment que la crise ne les a pas personnellement touchés.

Jugement sur la situation économique

Source : Forschungsgruppe Wahlen – Politbarometer

Si Angela Merkel bénéficie incontestablement de cette perception positive, elle est aussi créditée pour son action face à la crise. Ainsi, les études réalisées par Infratest Dimap indiquent que 69% des Allemands jugent que le gouvernement a bien géré la crise économique. Face à ce bilan largement jugé positif, l’opposition social-démocrate fait pâle figure : seuls 15% des sondés jugent que le SPD est plus compétent en matière économique, contre 44% pour la CDU/CSU. Les résultats sont à peine meilleurs en ce qui concerne l’emploi : 21% jugent le SPD comme le parti le plus compétent sur le sujet contre 38% pour la CDU/CSU. Et sur la politique sociale, enjeu traditionnellement porteur pour les sociaux-démocrates, la différence est minime : 32% estiment que le SPD est plus compétent quand 29% lui préfèrent la CDU/CSU.

Jugement sur la compétence des partis sur les principaux enjeux de l’élection

Source : Forschungsgruppe Wahlen – Politbarometer

La coalition gouvernementale, boulet de la chancelière

Dans ce contexte très favorable, la reconduction de la coalition au pouvoir devrait être une simple formalité pour Angela Merkel. Pourtant, si la chancelière bénéficie d’une cote de popularité insolente, celle-ci ne rayonne pas sur son gouvernement. Selon le baromètre Infratest Dimap de septembre, 53% des Allemands sont mécontents de leur gouvernement, contre 47% qui en sont satisfaits. Pourtant, la CDU/CSU, principal parti de la coalition au pouvoir, reste largement populaire : elle bénéficie, selon le Forschungsgruppe Wahlen, d’une note de 1,1 sur une échelle allant de -5 à +5. C’est le junior partner de la coalition, le FDP d’obédience libérale, qui est la cause de cette impopularité gouvernementale, avec une note de -0,6. Seul le parti représentant la gauche radicale, Die Linke (La Gauche), est moins bien noté avec un score de -0,9. Cette impopularité des libéraux s’explique par les critiques envers le ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle, et plus largement par l’insistance des ministres libéraux à baisser les impôts et couper dans les dépenses sociales, des options qui n’ont pas été prises en compte par Angela Merkel.

Conséquence directe, le baromètre Infratest Dimap montre que si 60% des Allemands disent qu’ils préfèrent qu’Angela Merkel reste chancelière dans les années à venir, seuls 39% souhaitent que le FDP reste dans la coalition au pouvoir. Et 57% estiment qu’une nouvelle coalition devrait parvenir au pouvoir après les prochaines élections, un chiffre qui atteint encore 21% chez les sympathisants de la CDU/CSU ou du FDP.

Opinion à l’égard des différentes coalitions possibles

Source : Infatest Dimap – ARD DeutschlandTREND

Dans ce contexte, seuls 38% des Allemands ont une opinion positive de la coalition « noire-jaune » alliant la CDU/CSU au FDP. Si aucune des coalitions possible ne satisfait une majorité des sondés, ils sont cependant 47% à avoir une opinion positive à l’égard d’une coalition « noire-rouge » réunissant les deux plus grands partis, et 41% à juger positivement une reconduction de la coalition « rouge-verte » au pouvoir sous Gerhard Schröder, entre 1998 et 2005. En revanche, les Allemands désapprouvent massivement un gouvernement formé de la seule CDU/CSU (28% d’opinions positives), une coalition « rouge-rouge-verte » réunissant sociaux-démocrates, écologistes et gauche radicale (24% d’opinions positives) et une coalition « noire-verte » entre les chrétiens-démocrates et les écologistes (21% d’opinions positives).

Des sondages incertains

Conséquence de la popularité d’Angela Merkel, la CDU et son parti-frère bavarois, la CSU, font largement course en tête avec entre 38% et 40% des intentions de vote selon les différents instituts de sondage, en nette hausse par rapport au précédent scrutin de 2009 (27,3%). En revanche, le FDP est en chute libre, avec entre 4% et 6% des voix contre 14,6% il y a quatre ans. Face à la droite, les partis de gauche sont divisés. Le SPD, avec entre 25% et 28% des suffrages, devrait obtenir un score légèrement supérieur à celui de 2009 (23%), mais tout de même historiquement très bas. Quant aux Grünen, partenaires de coalition du SPD pendant les années Schröder (1998-2005), ils sont en cette fin de campagne sur une pente descendante, passant d’environ 15% des intentions de vote au printemps dernier à entre 9% et 11% aujourd’hui. Plus à gauche, Die Linke, qui réunit l’ancien Parti communiste de RDA et la gauche alternative de RFA se situe dans les dernières enquêtes entre 8% et 10% des voix, contre 11,9% en 2009. Enfin, deux nouveaux partis se situent pour l’instant sous la barre des 5% dans l’ensemble des sondages publiés : le parti Pirate, avec entre 2,5% et 3% des voix, et surtout le parti de la droite eurosceptique Alternative für Deutschland (AfD, Alternative pour l’Allemagne) évalué à 2,5% à 5% des suffrages et en légère hausse ces dernières semaines.L’entrée de ce nouveau parti au Bundestag serait une première depuis l’élection des premiers députés écologistes en 1983.

L’évolution des intentions de vote depuis janvier 2012

Source : sondages publiés – http://www.wahlrecht.de

Toutefois, le mode de scrutin allemand rend la pure addition de ces chiffres afin d’établir les rapports de force électoraux illusoire. En effet, outre-Rhin, l’électeur dispose de deux bulletins de vote : le premier sert à désigner la moitié des 598 députés, élus par un scrutin uninominal à un tour dans le cadre de 299 circonscriptions ; le second permet de voter pour un parti. Ce dernier vote est utilisé pour corriger la disproportionnalité forcément engendrée par le premier vote, en déterminant le nombre de députés auquel chaque parti à le droit au niveau des Länder. Si dans un Land donné, la CDU obtient plus de députés élus directement que le SPD mais autant de secondes voix, les sociaux-démocrates bénéficieront de sièges de compensation rétablissant l’égalité entre les deux partis. Cette compensation n’a toutefois court que pour les partis ayant franchi 5% des voix au niveau national : ceux qui se situent sous cette barre ne peuvent compter que sur l’élection de députés dans des circonscriptions. Ainsi, en 1998, avec 5,1% des voix au niveau national, le PDS (formation descendante du Parti communiste d’ex-RDA et ayant formé Die Linke en 2007) a obtenu 36 sièges (dont 4 sièges directs et 32 sièges de compensation). Mais quatre ans plus tard, avec 4% des voix, il devait se contenter de 2 députés élus directement dans des circonscriptions. Enfin, un parti qui obtient plus de sièges directs que ce à quoi il aurait eu droit dans le cadre de la proportionnelle conserve ces députés supplémentaires, ce qui peut avoir un impact en cas de résultats très serrés au niveau national.

Dans ce contexte politique et institutionnel très particulier, les sondages peuvent se tromper : en janvier 2013, les élections régionales en Basse-Saxe ont ainsi fait craindre le pire aux stratèges de la CDU. Alors que les sondages n’assuraient pas le FDP de passer la barre des 5%, la direction de la CDU a appelé ses électeurs à donner leur seconde voix au parti libéral, afin de maintenir leur coalition régionale à flot. Résultat : avec 9,9% des voix, le FDP a obtenu un score inespéré, en hausse de 1,7 point par rapport au précédent scrutin. Mais la CDU a fait les frais de ces transferts de voix, avec 36% des suffrages (-6,5 points), au point de perdre le contrôle du Land au profit d’une coalition SPD/Grünen. Pour Angela Merkel et son équipe, l’objectif est donc aider le FDP à franchir la barre des 5% sans pour autant entrainer une hémorragie incontrôlée de la part des électeurs chrétiens-démocrates vers les libéraux, qui serait contre-productive.

A quelques jours du scrutin, plusieurs combinaisons paraissent donc possibles :

  • Si le FDP parvient à franchir le seuil de la représentation proportionnelle de 5% des voix sans prendre trop de voix à la CDU/CSU, il est probable que les deux partis disposent d’une majorité au Bundestag. La coalition « noire-jaune » au pouvoir depuis 2009 serait alors reconduite.
  • Si le FDP reste sous ce seuil, ou si la CDU/CSU obtient un résultat trop décevant, Angela Merkel peut tenter de bâtir une grande coalition « noir-rouge » avec les sociaux-démocrates, comme entre 2005 et 2009. Elle peut aussi tenter de former une coalition « noire-verte » avec les écologistes, qui ont toutefois clairement exprimé leur refus d’une telle alliance pendant la campagne.
  • Dernière éventualité, la mise en place d’une coalition de gauche élargie réunissant les sociaux-démocrates, les Grünen et Die Linke (coalition « rouge-rouge-verte »), l’alliance « rouge-verte » des années Schroeder ne semblant pas à même de gouverner seule. Cette combinaison a été évoquée pendant la campagne par des membres du SPD et de Die Linke, mais reste cependant assez peu probable devant les réticences importantes de l’aile centriste du SPD et de la fraction la plus à gauche de Die Linke.

Au final, Angela Merkel, boostée par sa popularité acquise grâce aux bonnes performances économiques de l’Allemagne, dispose de bonnes chances d’être reconduite dans ses fonctions. Pour elle, le défi principal réside dans le score du FDP : s’il l’allié libéral souffre trop de sa participation à la coalition, la chancelière risque de devoir nouer une alliance avec les sociaux-démocrates, voire même de perdre le pouvoir au profit d’une improbable coalition unissant les trois partis de gauche. Un élément sur lequel Angela Merkel ne dispose pas réellement de prise.