On connaît, dans l’histoire de la musique, plusieurs cas de musiciens vouant une admiration sans borne à un autre musicien et des solides rivalités qui en découlaient. Situations historiquement plausibles, souvent invérifiables, romanesques en tout cas.
Heinrich Wilhelm Ernst
Antonio Salieri est rongé par un sentiment de rivalité due à son admiration infinie (et mille fois justifiée) pour l’art de Wolfgang Amadeus Mozart, selon la nouvelle de Pouchkine porté à l’écran par Milos Forman dans les années 80 sous le titre Amadeus.
Marin Marais, caché sous la cabane de jardin de Monsieur de Sainte Colombe, l’écoute avec extase jouer de la viole de gambe. La fiction est due à Pascal Quignard – « Tous les matins du monde », 1991 – porté à l’écran peu après par Alain Corneau.
Avec Heinrich Wilhelm Ernst, né en 1812 en Moravie, nous avons probablement affaire à un authentique cas de vénération obsessionnelle. Celui qu’il vouait au plus grand virtuose de l’époque : Nicoló Paganini, depuis qu’il l’entendit en concert à Vienne en 1828. Dès lors, il plaça ses pas dans ceux de son aîné de 30 ans et devint lui-même un des violonistes virtuoses les plus réputés d’Europe.
Nicolo Paganini
Le jeu de cache-cache entre les deux musiciens dura des années et frisait le harcèlement. Bien sûr, ils se connaissaient et leurs rapports restaient polis à défaut d’être cordial. Ernst ne ratait jamais une occasion d’aller écouter le grand Paganini là où il se produisait pour lui piquer quelques tours de mains diaboliques sur le violon.
Il jouait d’ailleurs lui-même des œuvres du maître, que celui-ci avait composées à son propre usage de virtuose insurpassable. La qualité de son jeu était, paraît-il assez impressionnant pour faire pâlir le vieux maître italien aux doigts crochus… Y avait-il assez de place pour deux « violonistes du Diable » dans le monde ? Aux dires de l’Italien, certainement pas. Il ne fallait pas confondre le modèle avec la copie !
Ernst s’arrangeait, paraît-il, pour prendre la chambre voisine de Paganini dans les hôtels où celui-ci logeait, pour coller son oreille au mur. Remarquant cela, l’Italien ne travailla plus son instrument que sur un violon muet !
Un jour, le plus jeune des deux rendit visite à l’improviste à son aîné et vit celui-ci fourrer précipitamment la partition qu’il était en train de composer sous le matelas, pour le soustraire à sa vue. Car si Ernst était capable de reproduire une musique à la simple écoute, Paganini redoutait aussi qu’il fût capable du même exploit à la simple vue de la partition !
En tout cas, la concurrence fut rude entre les deux musiciens. Si Paganini fit progresser la technique du violon de manière significative en développant, par exemple le jeu en double cordes, Ernst se devait de faire mieux (ou pire). Il composa donc un « Trio pour un violon », soit une musique à 3 voix distinctes exécutée sur un seul instrument à 4 cordes et autant (mais pas plus) de doigts de la main gauche, le pouce n’étant pas utilisé pour la production du son ! Qui dit mieux ?
Paul Kristof
ERNST, Heinrich Wilhelm. Erlkönig… (Naxos, 2013) Disponibilité
Erlkönig – Grand caprice op. 26, arrangement pour violon solo d’après Schubert :
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