Je n’ai qu’un mot en tête, je vais le cracher tout de suite, puisqu'il obstrue tous les autres : généreux. Une personne qui se donne à son lecteur à ce point-là m’impressionne. Le principal intéressé dirait probablement qu’il a posé des filtres, mais comparativement au commun des mortels, si peu.
Comment Éric Simard se livre-t-il ? Par jour, par mois, par année, au final sept (1989 à 1997), à partir de journaux intimes tenus passionnément en ces années-là. Comment faire tenir huit années dans 400 pages, tout en conservant la forme journal ? On parle de travail de réécriture ici. D’un puissant recul qui pousse la lucidité dans ses derniers retranchements. De don pour donner et tenir un rythme.
J’ai lu comme une boulimique. J’ai dû me taper sur les doigts pour me ralentir. On suit le personnage pas à pas, mais jamais dans des moments d’insignifiance. Je fais ici une différence nette entre la superficialité et l’insignifiance. Si toutes les téléréalités touchaient autant à l’humain dans son désir fondamental d’être aimé tout en restant soi-même, sans concession et marchandage, je serais probablement preneuse.
Dans ces jeunes années, déjà, un besoin vital fait vibrer son être : écrire. C’est son encrage. Il part des projets, les honore ou pas, mais revient inlassablement à l’écriture, ne serait-ce que celle d’un journal. Ses confidences, je l’ai dit, sont généreuses, en plus de directes et honnêtes. Il ne se ment pas à lui-même donc ne nous ment pas. Il ne cache donc pas, sous une fausse humilité, son vif désir d’être publié. On assiste à sa démarche d’auteur qui poste des manuscrits, qui lui reviennent, accompagnés de lettres de refus majoritairement impersonnelles. Et, inlassablement, il revient à la charge.
Cette aspiration à l’édition n’est que le fond du décor de la plongée dans un moi de jeune homosexuel à ses premières aventures assumées. Comment reconnaître le bon partenaire avec qui le plaisir sera à son comble, en même temps que la finesse du sentiment ? Vouloir tout avoir. La terre de la séduction est vastement explorée, jour après jour, heure après heure. Comment reconnaître les mâles non affichés homosexuel, ignorant eux-mêmes leurs élans ? L’ambigüité est un thème récurrent, et captivant, parce que développé, décortiqué, autopsié, pas seulement chez l’auteur également chez les gens qu’il croise. Son amitié fervente avec une femme, ses tentatives matrimoniales, ses relations assidues avec sa famille, ses nombreuses tergiversations avec son métier de libraire nourrissent des paragraphes lancés comme autant de messages à la mer, au cas où un lecteur, un jour, les attraperaient. Et on les attrape, assouvissant une soif qu’on n’ignorait intense à ce point, de voir un être essayer de se trouver, lui, à travers les mirages perçus dans le regard des autres.
Ce que j’ai trouvé de plus ferme, de plus confiant chez ce jeune homme est son sens critique de l’univers culturel. Il nous transmet, avec une brièveté et une acuité hors du commun, ses impressions sur des romans, des films, des spectacles, des disques. Il est avide du geste créateur des autres, il l’engloutit, en retire beaucoup. C’est une planche de salut sur laquelle il monte pour éviter de sombrer durant les moments torturants.
La fin. Parce que si je suis avec vous pour en parler, c’est qu’il y a eu un point final, quand en fait, ce jeune à qui on s’attache fortement parce qu’il nous a fait entrer dans son intimité, ne meure pas. L’unique raison de l’abandon est que l’année est terminée. Ça m’a ramenée au mouvement continuel des choses, je dis bien « continuel », pas « naturel », car ce ne l’est pas, naturel, et cela ne le sera jamais, d’être abandonné par une personne avec laquelle on a passé de si bons moments.
Et bravo pour l’excellente idée de recenser dans un lexique les œuvres commentées au fil du livre !