Conversation avec Holly Bynoe : Une certaine trajectoire

Publié le 20 septembre 2013 par Aicasc @aica_sc

Holly Bynoe et Nadia Huggins,  artistes de Sainte –Lucie et de Saint – Vincent, sont depuis deux ans les éditrices d’un site et d’une revue d’art, ARC magazine.

Invitées en février 2012 par la DAC Martinique en partenariat avec l’Alliance française de Sainte – Lucie pour une tournée d’une semaine dans des ateliers, elles ont pu ouvrir les colonnes de leur magazine à des plasticiens de Martinique, Robert Charlotte, Jean – Baptiste Barret, Audry Liseron Monfils.

Un second séjour à Fort de France en octobre 2012 pour le symposium Revues en vue qui a réuni aux Archives départementales de la Martinique des éditeurs de revues d’art et de revues électroniques de la Caraïbe : Annie Paul pour Small axe, David Mateo pour Artcronica, Isabel Perez pour Arte Sur, Dave Williams pour Draconian Switch a aidé  Holly Bynoe et Nadia Huggins à renforcer leur connaissance du milieu artistique de Martinique.

C’est sans doute en raison de cette imprégnation et son  ouverture sur la Caraïbe qu’ Holly Bynoe a été désignée comme commissaire de la BIAC pour le Pavillon de la Martinique.

Cette interview répondra à toutes les questions que vous vous posez sur Arc Magazine : Quels objectifs ont présidé à sa création ? Quel est son impact et son rayonnement dans la région et au-delà des frontières de la Caraïbe ? Quels  sont les moyens humains et financiers mis en œuvre pour le réaliser ? Quelles sont ses perspectives pour l’avenir ?

Holly et Nadia

Dans quels objectifs avez-vous créé Arc Magazine ? Après la publication de sept numéros, considérez – vous que vous avez atteint ces objectifs ?

L’objectif premier à la création d’Arc en tant que plateforme était d’abord de susciter l’attention. Nous avons pensé  réaliser cela en facilitant les échanges et en créant les occasions d’étendre la culture créative, en particulier dans le champ des arts visuels de la Caraïbe dans son ensemble et dans ses diasporas. Nous espérons, et ceci est inclus dans cette mission globale, améliorer l’image des arts visuels contemporains, rendre plus visible l’art caribéen local, régional et  global, et multiplier les occasions pour le public – peu familier mais existant- d’expérimenter l’art contemporain caribéen.

Après la publication de sept numéros nous approchons du but fixé, mais comme vous savez, plus on en fait, plus il en reste à faire. Alors qu’au départ, cette plateforme, imprimée et en ligne, se fondait sur des objectifs spécifiques, à savoir sensibiliser le public à notre marque Arc et développer la collaboration avec les auteurs, les institutions informelles et les artistes, nous avons étendu notre mission et nos directives en nous basant sur les moyens que nous avons identifiés dans nos réseaux créatifs et je pense que nous envisageons aujourd’hui d’aborder la critique de façon plus audacieuse et plus motivante.

Il reste encore du chemin à parcourir mais nous avons décidé qu’il était nécessaire de continuer à soutenir et à encourager l’interaction, l’échange et l’éducation, en créant un  lien entre la croissance d’artistes émergents, d’auteurs, de critiques et spécialistes de la culture, et leurs pairs sur le plan local, régional et international.

Ce changement récent dans notre programme est particulièrement significatif en ce qu’il représente un moyen plus tangible d’apporter un soutien aux réseaux synergiques, ce qui nous offre l’occasion de partager les ressources et les idées, et alternativement de faire exister la solidarité et la connaissance de l’autre.

Quelle est la périodicité de votre publication, depuis la création, êtes-vous parvenue à la respecter ?

En 2011 nous avons publié quatre numéros, un par trimestre, en Janvier, Avril, Juin et Septembre, sans vraiment réaliser les risques de la publication en tant qu’indépendant dans la Caraïbe et les difficultés qui en découlaient. Nous avons très vite réalisé qu’aller de l’avant à ce rythme serait néfaste à tout point de vue.

D’abord, il nous aurait fallu une équipe éditoriale et administrative plus élargie pour maintenir ce rythme et nous n’avions pas les moyens financiers pour y parvenir. Ensuite, et plus important, nous n’aurions pas eu la possibilité  de développer un programme –le lancement, les projections de films, expositions, conférences avec des artistes- tout ce qui découlait de notre succès et de l’expansion du concept. Le fait de s’engager activement et socialement dans la culture de plusieurs pays a amené les spécialistes à comprendre notre démarche de façon plus immédiate. Cela accélère le processus de confiance et d’engagement, point crucial pour enrichir le dialogue, développer la communauté et, je l’espère, parvenir à accroître la mobilité dans le champ des arts visuels.

Dans cette optique, j’ai le sentiment, que nous avons bien vu. C’est ainsi qu’en 2012, les directrices d’Arc, Nadia Huggins et moi, avons décidé d’augmenter le contenu de 40% et d’amener les parutions à un rythme biannuel, en Mai/Juin et Septembre/Octobre. Nous sommes parvenues à maintenir cette périodicité, mais je souhaite qu’avec de plus grandes capacités et de ressources nous pourrons envisager une publication plus importante, avec des projets spéciaux et un contenu unique spécifiquement pour chaque numéro. Nous envisageons également une publication qui tiendrait compte de la barrière de la langue  et rendrait la tâche plus facile s’agissant de notre travail dans la Caraïbe. Nous souhaiterions aussi tenter une approche des régions continentales qu’il nous reste à découvrir.

Holly Bynoe

Combien de visiteurs avez-vous par mois sur votre site ? Combien de lecteurs de la revue ? Et principalement de quelle aire géographique sont – ils ?

D’après les chiffres que nous avons, environ 20 000 visiteurs se connectent  à notre site www.arcthemagazine.com chaque mois. Ceci dit, nous avons une base de données rassemblant 4 000 personnes que nous contactons chaque mois. La fidélisation et le marketing se sont structurés  davantage depuis le début de l’année 2013, notre programmation et nos partenariats s’étant étoffés. Quotidiennement, nous expédions de l’information à environ 15 000 personnes par le biais de nos réseaux sociaux, y compris Facebook, Twitter, Instagram, Tumblr, Vimeo, etc. Nous souhaitons améliorer notre visibilité et notre viabilité grâce à ces plateformes pour rendre le site plus dynamique dans les mois à venir.

Nadia a travaillé sans relâche à améliorer un design qui prenne en considération et prévoit la croissance des plateformes en ligne, et aussi à faire le point en termes d’interface, d’utilisation, de sécurité- sécuriser les ventes-. Sans oublier d’étudier comment les gens inter-réagissent avec la vidéo, les media du contenu live et du streaming. Nous reconfigurons également la présentation en ligne d’ARC pour une présence plus complète et plus accueillante. Ce point a été un de nos plus important défis, à savoir, superviser la façon de présenter l’information, et de quelles sortes de contraintes hiérarchiques il nous faudra tenir compte pour cette plateforme sans négliger la fonctionnalité.

Nous avons des lecteurs principalement aux Etats-Unis, à Trinidad et Tobago, au Royaume-Uni, à la Jamaïque, au Canada, à la Barbade, Saint-Vincent et les Grenadines, en France, aux Pays-Bas, à Aruba, en Allemagne, au Suriname, en Espagne, en Australie, à Curaçao, en Martinique, à la Grenade, Sainte-Lucie et les Iles Vierges américaines.

Entre le site web et le magazine, lequel vous paraît le plus important? Pourriez-vous nous expliquer les spécificités de chacun ? Sont-ils complémentaires ?

Les deux me paraissent importants pour la longévité et la survie d’Arc. Aucun des deux ne sert un projet plus important, chacun ayant des aspirations très spécifiques et bien distinctes.

Le contenant esthétique que nous avons soigneusement élaboré avec la revue imprimée donne à notre travail une structure visuelle, ce qui indique le type de travail que nous voulons soutenir –son aura, sa cohésion visuelle, son équilibre, etc. Cette structure visuelle exige que l’on considère la forme et le contenu et comment les deux sont reliés – s’ils sont encourageants ou audacieux. A partir de cela, nous avons élaboré le jeu des couleurs et leur nature complémentaire, la typographie et les images – et le langage visuel que nous utilisons pour communiquer avec notre public.

Nous nous sommes assurés qu’une fois qu’on découvre le magazine, la qualité fait la différence et représente quelque chose de vraiment révolutionnaire, quelle que soit le contact que le lecteur ait pu avoir avec d’autres publications existant dans cette région. Le développement du caractère critique de la revue est propre au contenant, qui représente une collection d’idées et de projets, ouvre des débats stimulants, et présente des portfolios d’artistes directement accessibles grâce à sa forme. Il y a un lien avec, et vers l’objet imprimé qui correspond à une initiation à un vaste champ d’informations et de réseaux, ce qui nous l’espérons résultera de la lecture du magazine. Le lecteur doit  quitter le vaste monde pour se plonger dans la vie et le microcosme de cet objet.

C’est une interaction très primale, où vous vous adonnez de plusieurs façons au design, à la typographie, au poids du papier, à l’odeur de l’encre, à une certaine toxicité, et à la dimension de l’objet entre vos mains. Une fois que le lecteur a le loisir de feuilleter les pages, il réalise soudain que ses valeurs et contreparties ont été soigneusement élaborées pour rendre la lecture fluide et dynamique, et où on peut se mouvoir à travers le contenu qui n’est pas soumis à des contraintes de temps et d’espace; c’est un espace construit par le lecteur. Il y a une certaine liberté dans les différentes sections, pas de changement discordant d’interface d’une section à l’autre. C’est pour contribuer à une période d’engagement plus lente avec l’objet, élaborer des pratiques de lecture et de visionnage et des modes d’interaction.

Notre ligne éditoriale et notre mode de fonctionnement prennent en compte la dynamique d’un collectif, à savoir une entreprise qui privilégie l’expérimentation, le questionnement, la culture et l’enrichissement spirituel pour ce qui est de la critique et de l’action. Nous entendons rester concentrés sur l’absence de hiérarchie dans le visuel et l’éditorial, convaincus que nous sommes que le service et l’information que nous fournissons aux artistes devraient influencer et changer leur vision de leur image dans leur communauté créative, intervenir dans leur relation avec le monde autour, créer un effet domino.

Le lancement de la revue en ligne ARC s’est fait par les réseaux sociaux pendant la période de gestation, la publication devenant ainsi une sorte de phénomène culte underground, où des groupes sociaux informels, des collectifs d’artistes et ceux qui s’intéressent à la culture générale choisissent notre banque d’information comme moyen de découvrir ce qui se passe dans la Caraïbe sur la plan artistique. Dans cette région, être artiste et pratiquer son art revient à assumer que vous devez suivre le rythme, si vous ne voulez pas que le potentiel et les capacités de votre activité ne soient vite obsolètes en termes d’occasions et de situation. Il y a aussi quelque chose d’important dans le fait que les artistes utilisent leur présence en ligne comme outil de reconnaissance, de classement, et pour être représentés.

Les revues en ligne assument donc un rôle vital en tant que guides pour les artistes quels que soit leur type de media  pour pouvoir accéder instantanément à toute une palette d’informations. Nous avions pour objectif de créer un outil  qui soit beau, fonctionnel et peu encombrant. Même s’il s’agit d’un espace critique, une grande partie de l’information issue du contenu quotidien est centrée sur ces opportunités de promotion qui donnent du poids au développement de l’industrie du visuel. Cette recherche préemptive et ce regroupement d’informations garantit pour les artistes un accès aux appels à candidature, aux opportunités de résidences qui peuvent être utiles à leur progression, aux conférences régionales et internationales, aux informations sur les bourses d’études et le financement, tout ce qui représente une aide à leur progression et leur permet d’élargir leur espace.

Dans le contexte de la Caraïbe, les échanges entre les lieux, professionnels et réalités différentes aident les artistes à se rendre compte des dynamiques régionales et historiques, et surtout à surmonter ce sentiment d’isolement créatif et intellectuel. Nous avons aussi commencé à initier le contenu original exclusivement pour Arc et espérons poursuivre ainsi de deux articles hebdomadaires, comme c’est le cas actuellement, à un article quotidien l’année prochaine ou les deux années à venir.

Jaynine at Volta

Quels sont vos moyens de financement?

Nous sommes actuellement en mesure de faire face au coût de l’impression et de la publication grâce à des subventions et à la publicité c’est-à-dire jusqu’à 15/20% de la production. Nadia et moi travaillons sur des projets mensuels divers et aussi sur des projets spécifiques pour qu’Arc continue d’exister. Nous avons sollicité des bourses collectives auprès de plusieurs institutions en Amérique et nous entendons en solliciter davantage dans les mois ou années à venir pour rendre la production moins lourde financièrement.

Nous avons par ailleurs choisi une agence chargée de contrôler le contact avec les institutions, musées, galeries, les initiatives d’artistes informelles, les bibliothèques, universités, artistes et fondations de façon à construire et à consolider les relations de travail que nous avons avec nos partenaires existants ou futurs. Notre espoir c’est de bénéficier de suffisamment de revenus de la publicité et de revenus collectifs por pouvoir augmenter nos capacités sur les cinq années à venir à un niveau plus formel et plus viable.

Quelle est votre stratégie de diffusion de la revue ?

Difficile de définir des stratégies quand on vit et travaille dans la Caraïbe. Il faut d’abord faire face au coût élevé du transport vers les distributeurs et il y a le risque de perdre des paquets, parfois les services postaux peuvent détruire ou endommager ou bien retarder la réception du produit. Ajoutez à cela les droits de douane et d’importation, il est souvent impossible de vendre de façon productive. Pour contrer cela nous n’avons plus qu’à expédier des Etats-Unis par des opérateurs de fret à la plupart de nos distributeurs, et si nous voyageons vers les îles, il nous faut amener avec nous des numéros à distribuer sur place.

De bien des façons, l’organisation structurelle inadéquate et inefficace du commerce dans la Caraïbe nous empêche de progresser. Nous continuons à lutter pour trouver des moyens novateurs pour bénéficier financièrement et développer nos idées. Comment savoir à qui s’adresser pour, par exemple, une distribution plus rapide et moins couteuse des produits ; impossible d’élargir l’espace que nous desservons dans la Caraïbe s’il n’y a aucune concertation autour de ces questions dans les gouvernements de chacune des îles ou les institutions régionales. Pour l’instant il nous faut prendre des raccourcis pour trouver les meilleures options.

Selon vous, quel est, dans le domaine des arts visuels, le rôle des diasporas caribéennes ?

Une des conversations récurrentes que j’ai ici et là concerne le rôle des diasporas Caraïbes dans notre développement, et même, le rôle des institutions culturelles internationales, celles qui sont responsables des Caraïbes. Souvent je me demande pourquoi il n’y a pas davantage de collaboration ou de contacts préemptifs concernant la mise en œuvre de projets. C’est là le point de vue d’une expérience Anglophone, plus particulièrement celle d’une petite île en développement, où nous, les artistes et ceux qui s’occupent de culture, sommes souvent exclus quand il s’agit d’opportunités et de collaborations sur des projets en cours. Il me semble que l’essentiel de mon activité est centré sur l’effort de sensibiliser tout le monde sur la présence d’Arc et les efforts accomplis pour voir évoluer l’économie culturelle de la Caraïbe. Cela suppose qu’il est nécessaire de confirmer et de solidifier les relations de travail avec les diasporas. Dans les pays développés on trouve le moyen de valoriser, quantifier, étudier et vendre les produits culturels et les services. Ce modèle économique développé inclut les artistes confirmés, les collectionneurs, de nombreux programmes B.F.A et M.F.A, des agents, des curateurs, des galeries, des critiques, des lieux de vente aux enchères, des publications, des prix artistiques, des éducateurs, des biennales, ainsi que les marchés nécessaires à la circulation de ceux-ci.

Ce modus operandi standard fournit des moyens d’attribuer de la valeur à ces différents types de travaux. Comme ce n’est pas institué dans la Caraïbe, nous n’avons d’équivalent pour coter les œuvres. Il devient alors extrêmement difficile d‘être compétitif sur le marché de l’art mondial et dans les événements significatifs ayant lieu dans la diaspora. Les artistes caribéens n’ont plus qu’à produire, promouvoir et vendre leur travail eux-mêmes avec peu ou pas de soutien; c’est peu pratique et nuit à la croissance dans ce secteur.

L’inconvénient majeur qui découle de cela est que les arts visuels portent ce fardeau : sous-développés, peu soutenus et sous-évalués. Il n’y a pas de compréhension, ni de masse critique en faveur du développement de l’art contemporain, et souvent, la nécessité de rappeler sa genèse et son évolution a échappé au sens pratique des gouvernements locaux. Plus grave encore, la plupart de ces pays manque d’infrastructures pour les études universitaires, les galeries nationales et les musées, ces lieux mêmes qui fournissent un espace  pour comprendre les créations, artefacts et passés historiques. Cette lacune est fondamentale et crée un vide monumental. A moins d’envisager une stratégie pour que ces choses fassent partie intégrante de notre fibre culturelle, il n’y a aucun moyen d’envisager un développement, une implication ou une expansion qui soient significatifs.

Il n’est pas possible d’évoquer le développement d’une industrie de l’art dans la Caraïbe sans une adhésion significative des artistes, des institutions et des fondations dans la diaspora. Au bout du compte, vous évaluez ce qu’il vous faut pour devenir autonome – le financement, le matériel, l’expertise, etc. Plus que jamais il a urgence à les impliquer dans le débat, et faire comprendre aux institutions, aux autorités académiques, aux curateurs, aux centres culturels, et aux fondations que même si la Caraïbe a évolué en termes socio-économiques, il y a là une entreprise créative émergente. Nous avons besoin d’experts qualifiés, ceux qui ont une activité dans les secteurs culturels de leur région, de façon à nous aider à travailler plus efficacement au développement d’une législation culturelle, des espaces formels ou informels, des bourses d’étude et des activités qui toucheraient un public plus impliqué.

Il est peu pratique de voir de grandes expositions ou biennales dans des lieux tels que New York City, Miami, Londres, ou Venise, sans que les institutions et les artistes comptent sur au moins quatre partenaires de la Caraïbe qui bénéficieraient de la programmation et seraient impliqués par des programmes satellites, des projections, des ateliers, etc. Il est contre-productif de ne pas arriver à dire ‘Oui, nous voulons prendre part à ce grand débat, et à cette économie’. Ou encore de continuer à affirmer que nous vivons encore à l’heure de notre île. Nous avons travaillé dur pour combattre cette impression et les gens autour commencent à  le remarquer.

Nous avons encore beaucoup à faire, nous avons une histoire où il est courant d’amasser, ou de se battre pour garder le pouvoir et l’information, ou encore de garder bien au chaud des informations essentielles  et des relations. Ou bien encore, d’après mon expérience, de les garder hors de portée de ceux qui peuvent en bénéficier le plus. C’est pour cela que nous ne sommes jamais parvenus à comprendre le sens d’une Caraïbe intégrée. C’est ce réflexe d’égoïsme et de crainte qui pourraient ‘nous coûter cher’.

Ce type de réflexe a été généré  et maintenu par un système obsolète qui voudrait s’assurer que le status quo ne sera jamais remis en question, interrompu ou usurpé. Un système confié à des gardiens, si effrayés à l’idée de perdre leur pouvoir, qu’ils préféreraient voir la ville ou la région stagner et s’écrouler.

Ce modèle ne peut plus fonctionner ; travailler dans une telle structure sociétale revient à dire que vous êtes dépassé.

Quels sont les freins majeurs au développement de votre projet ?

Il y a toujours des contraintes financières qui nous empêchent d’augmenter notre capacité de travail- qu’il s’agisse d’employer quelqu’un que nous estimons sérieux pour notre bureau, payer les auteurs, couvrir les frais d’impression, ou d’autres petites choses, comme par exemple nous assurer que nous avons inclus certaine composante dans notre site web.

Des projets plus lourds ont dû attendre. Nous cherchons par exemple, un financement pour éditer environ plus de 30 vidéos d’artistes produites pendant l’année 2012/13. Assister à davantage de foires de l’art, et arriver à impliquer davantage d’îles de façon régulière est une autre de ces possibilités que nous envisageons, mais cela dépend des partenariats que nous pourrions acquérir et de notre capacité à comprendre les synergies.

Arriver à obtenir plus de financements représenterait un changement immédiat pour Arc, cela nous aiderait à mettre en œuvre une série de changements qui augmenterait et consoliderait nos bases, nos plateformes en ligne et l’impression, notre programmation et notre impact.

Il y a aussi d’autres points de développement que je voudrais ajouter pour accompagner la  croissance de nos communautés créatives, en particulier sur le moyen d’organiser le mentorat pour renforcer ces réseaux. En tant qu’éditrice, artiste, et auteur, il m’est souvent difficile de faire face à l’isolement auquel mon expérience me conduit, et plus encore, combien d’énergie il me faut pour être présente auprès des artistes, des partenaires, des collaborateurs, des auteurs, etc. Cela représente beaucoup  de communication et je mets des gants pour aborder cela. Cela représenterait beaucoup pour moi d’avoir l’équipe plus souvent autour de moi, c’est ce qui me donnerait l’occasion de d’interagir sur le futur et les projets pour ARC, et m’aiderait à commencer à définir une certaine trajectoire.

Autre obstacle, l’accès aux experts pour ce qui est du développement des sites web. Voilà ce à  quoi  Nadia et moi nous nous sommes heurté ces trois dernières années, et il nous faudrait quelqu’un qui nous rejoigne sur un projet pour concrétiser notre vision, aider à rendre plus tangibles quelques-unes de ces choses si éphémères, en particulier si on tient compte de la quantité de matériel mis en ligne et notre expérience des plateformes de progrès.

Comment réalisez- vous techniquement la revue : impression, graphisme ? Avez- vous une équipe permanente de salariés ?

Nous fonctionnons avec cinq employés salariés à temps plein. Nadia et moi faisons du bénévolat depuis la création d’ARC et cela n’a pas changé, en ce sens que nous finançons la production et la visibilité. Nadia se charge de toute la partie design et graphisme relatif à notre marque et au développement d’ARC en tant qu’entité et aussi de tout ce qui est événements de soutien, programmation et autres. Notre bureau éditorial et administratif de base reçoit une rémunération mensuelle pour ce qui est des sujets traités et de l’édition, des contacts, de  la recherche, de la gestion du contenu du site, du marketing et des ventes. En tant qu’entité non gouvernementale opérationnelle nous employons une majorité de notre personnel pour 10 heures par semaine. L’idéal pour moi serait 5 employés pour 40 heures par semaine. Ce qui nous est impossible à moins  que nous ayons plus de revenus, chose qui deviendrait possible avec des investissements.

Les employés fixes permanents d’ARC sont: Dr. Leanne Haynes, (Editrice en chef) Katherine Kennedy (mon assistante), Pam Ratti (Editrice), Nicole Smythe -Johnson (Editrice Arts Senior, auteur), Blake Daniels (Auteur Arts Junior), et notre nouveau Spécialiste des ventes que nous présenterons en Octobre. C’est cette équipe qui fait que la revue tient encore debout. Si nous n’avions eu la capacité de le faire venir et de les associer à la croissance d’ARC, je ne sais pas ce la revue serait devenue, et je ne suis pas sûre que aurions tenu si longtemps. A part ces personnes notre bureau éditorial et administratif élargi compte Vanessa Simmons-Rommens (Editrice et Rédactrice), Tracy Assing (Editrice et Conseillère), Natasha Drax (Conseillère éditorial). Une fois que nous sommes d’accord pour le design, celui-ci est envoyé à un groupe de critiques, observateurs et artistes parmi lesquels Ville Kansanen, Justin Maller and Janyne Golia.

J’essaie également d’aller au-devant des événements et de reconnaître la crédibilité de ceux qui nous ont précédés, c’est pour cela que j’entretiens des relations de travail très suivies avec Annalee Davis de la plateforme Fresh Milk Inc. Et pour moi des fidèles partisans tels que Christopher Cozier sont très proches du développement de notre mission et de nos objectifs. Je dois beaucoup à ma famille surtout qui a encouragé mes choix et ma passion, sans eux ARC n’aurait pas existé.

Nous ne pouvons bien sûr ignorer les nombreux contributeurs bénévoles qui travaillent sans relâche et envoient régulièrement des articles  à chaque numéro et en ligne. Le fait d’avoir pu maintenir une continuité et l’espoir d’une production régulière signifie bien que nos contributeurs ont établi des liens de confiance et sont conscients que nous essayons de garder le contrôle pour ce qui est de notre engagement et de nos objectifs.

Il est vrai que le fait de financer ARC et d’employer un personnel de base nous a coûté à Nadia et à moi-même, émotionnellement, physiquement et psychologiquement. Cela m’a apporté des moments sombres et difficiles, mais aussi des périodes remplies d’espoir et de luminosité. Je sais cependant que tous ceux que nous avons choisis pour être au centre d’ARC et prétendre à son développement sont dignes de cela et davantage encore. Le sacrifice, l’importance et la présence d’ARC compensent largement la vacuité qui pourrait en résulter.

Nous sommes encore en relation avec Oddi notre imprimeur Islandais ; nous sommes heureux de l’attention et des relations de travail très méticuleuses qui se sont établies avec eux. Ce qui est gratifiant c’est de voir le projet supervisé par leurs experts. Cela fait plus de 70 ans qu’ils travaillent dans la publication d’ouvrages d’art, et en retour nous recevons cette publication imprimée unique en son genre dans la Caraïbe et peut-être dans le monde entier, si l’on considère le manque de représentation et les problèmes divers qui apparaissent quand il s’agit de formes d’art, de démographies et de populations sous-représentées.

Comment voyez-vous l’avenir pour Arc ?

Je voudrais que cette publication continue d’évoluer et de développer sa ligne éditoriale, et de poursuivre son engagement social, que nous établissions de nouveaux projets communs et de nouveaux partenariats. Dans l’absolu, il nous faudrait une augmentation substantielle pour ce qui est de la programmation annuelle, que nous nous investissions dans le développement de programmes de résidences que nous pourrions superviser ; nous pourrions continuer à étendre notre investissement dans le film et la vidéo d’art  en créant plus de plateformes pour soutenir des projets dans les nouveaux media, non seulement dans le cadre du festival du film de Trinidad et Tobago, mais aussi avec d’autres organismes régionaux et internationaux. Il faudrait aussi que nous trouvions le moyen de travailler avec des lieux qui n’ont pas encore eu l’occasion de découvrir ARC.

Nous avons repéré certaines zones qui nous sont encore inconnues – La Caraïbe hispanophone, les régions continentales de la zone Caraïbe, les Grandes Antilles, de même que des communautés fortes de la diaspora aux Etats-Unis et au Canada, dans le Royaume-Uni, Paris, les Pays-Bas et l’Afrique Occidentale.

Etant donné l’importance de tout ce que nous avons accompli jusqu’ici, comme c’est enthousiasmant de poursuivre ces dialogues et ces occasions de travailler et d’ajouter notre pierre à l’édifice, pour rendre plus forte cette économie créative.

L’un de mes souhaits en réalité serait de convaincre nos ministères locaux et régionaux que le champ des arts visuels peut se révéler une source de croissance incroyable pour nos pays. Et aujourd’hui, plus que jamais,  il est important pour les artistes d’avoir l’occasion de voyager, de collaborer avec d’autres, et de chercher de nouveaux moyens d’éducation. L’alternative serait qu’ils demeurent non-reconnus et que leurs visions soient perverties par un système et par les lacunes d’un système. L’idéal pour moi serait de voir ARC devenir un des membres fondateurs travaillant à la mise en  œuvre d’un centre ou d’une fondation pour les Arts Visuels soutenu par un marché dans toute la Caraïbe ; un espace d’enrichissement pour une production saine et créative tout en assurant le développement d’infrastructures et d’une législation.

Et, par-dessus tout, je voudrais qu’ARC continue à être viable pour accomplir jusqu’au bout ses objectifs, totalement, en développant le cadre de soutien requis pour cerner les mécanismes nécessaires  à l’expansion et à la croissance de notre région.

Interview Dominique Brebion

Traduction Suzanne Lampla