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Impressions d'Ambronay 2013 (I) : Monteverdi, Vespro della Beata Vergine par Leonardo García Alarcón

Publié le 19 septembre 2013 par Jeanchristophepucek

 

Un peu d'été s'attardait encore et caressait les vénérables pierres de l'abbaye d'Ambronay en ce début de soirée du vendredi 13 septembre qui voyait l'ouverture de la 34e édition du festival qui, chaque début d'automne, réunit valeurs sûres et talents prometteurs majoritairement dans le domaine de la musique baroque. À bien des égards, la « Machine à rêves » choisie pour intituler ce crû 2013 était de celles qui conduisent vers le proche basculement dans un monde nouveau, avec le départ de l'actuel directeur, Alain Brunet, auquel succédera Daniel Bizeray, et la fin de la résidence de Leonardo García Alarcón, artiste devenu emblématique de l'Ambronay de ces dernières années comme le fut autrefois avec, n'en déplaise à certains, une force comparable, Jordi Savall.

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Pour le chef argentin, diriger les Vespro della Beata Vergine (1610) de Claudio Monteverdi, œuvre destinée, entre autres, à démontrer l'étendue du savoir-faire de son auteur qui cherchait à s'échapper de la cour de Mantoue devenue trop étroite pour ses ambitions, revêtait un caractère symbolique extrêmement fort. Quel chemin parcouru, en effet, par le jeune assistant de Gabriel Garrido qui, ainsi qu'il le rappellera en souriant à la fin du concert, tenait, en 2000, le continuo d'orgue « caché derrière un pilier » de cette même abbatiale, et dont chaque prestation déclenche aujourd'hui l'enthousiasme d'un public dont une partie est d'ailleurs venu à la musique dite « classique » grâce au formidable catalyseur d'énergies que même ses détracteurs avouent qu'il est.

Leonardo García Alarcón connaît ces Vêpres multiformes « de l'intérieur » et si l'interprétation qu'il a donnée n'a pas soulevé que des murmures d'approbation, elle a l'insigne mérite de refléter un véritable travail de réflexion sur la partition et ses enjeux qui ne surprendra pas ceux qui prennent le temps d'écouter véritablement le travail de ce chef, qu'ils y adhèrent ou non, plutôt que se contenter de prêter l'oreille à ce qui s'en dit dans certains cercles prétendument autorisés. Pour servir sa vision, il a choisi de se reposer sur une équipe de fidèles dont certains ont, une nouvelle fois, su tirer brillamment leur épingle du jeu. Le plus éclatant de tous a, sans grande surprise, été Fernando Guimarães, ténor dont la solidité des moyens vocaux et l'abattage sont toujours aussi impressionnants et qui a imposé son autorité naturelle dans chacune de ses interventions, notamment dans un Nigra sum à la charge érotique presque impérieuse. Que Zachary Wilder, le second ténor, ait pu donner la réplique à une aussi forte personnalité sans pâlir est déjà, en soi, une qualité ; ce chanteur en possède bien d'autres, dont une expressivité très raffinée qui contraste, en la complétant, avec celle, plus percutante, de son compère, et une articulation particulièrement claire et soignée ; quelque chose me dit que c'est un artiste dont on reparlera. Cette même idée de netteté est celle qui vient le plus immédiatement à l'esprit pour qualifier la prestation de Céline Scheen, dont la maîtrise faisait oublier quelques extrêmes aigus un peu éteints. On m'accusera de verser dans les clichés les plus éculés si j'écris que le couple qu'elle formait avec Mariana Flores était parfaitement complémentaire, elle personnifiant une vocalité quelque peu « septentrionale », tandis que sa brune comparse incarnait toute la générosité et la séduction chaleureuse que l'on prête aux voix plus méridionales ; le Pulchra es a, en tout cas, été un moment plein de charme grâce à ce duo aussi bien équilibré que celui des ténors. Saluons, pour finir ce rapide tour d'horizon des solistes, la présence de Victor Torres, baryton dont chaque intervention a été un enchantement. La voix, sans doute, accuse parfois le passage du temps, mais quelle juste éloquence, quel naturel, quel sens inné et sans aucune préciosité de la nuance ; son Audi coelum a, sans contredit, été un des plus beaux moments de ces Vespro.

La Cappella Mediterranea s'est présentée elle aussi dans de bien beaux atours où brillaient comme des gemmes quelques très belles individualités comme la violoniste Stéphanie de Failly ou la cornettiste Judith Pacquier, ainsi que d'excellents pupitres de saqueboutes (Fabien Cherrier, Adrian France, Jean-Noël Gamet) et de cordes pincées (Massimo Moscardo et Quito Gato), délivrant une sonorité d'ensemble qui, par son opulence sans lourdeur, sa transparence sans sécheresse et sa réactivité, posait l'orchestre en véritable acteur et non en simple accompagnateur. Je tiens à souligner particulièrement la prestation remarquable de l'homme caché derrière un pilier, Lionel Desmeules, qui, outre un continuo d'orgue impeccable, a également donné à entendre des antiennes grégoriennes parfaitement réalisées, ce qui est loin d'être toujours le cas. Voici un musicien que l'on prendra plaisir à réentendre souvent, au disque comme au concert. Le Chœur de Chambre de Namur a une nouvelle fois à la hauteur de sa réputation par sa discipline d'ensemble et la toujours très grande netteté de ses phrasés, qualités qui vont de pair avec un investissement de tous les instants très bienvenu dans une œuvre qui en demande beaucoup.

Festival Ambronay Vêpres Monteverdi Garcia Alarcon Cappell
Toutes ces belles qualités n'ont cependant pas pu empêcher quelques baisses de tension durant la première partie du concert dans laquelle apparaissaient parfois, avec une acuité parfois presque cruelle, les traces de la fatigue accumulée durant le véritable marathon des trois journées précédentes durant lesquelles les Vespro ont été enregistrées en vue d’une parution discographique en 2014. La seconde a, en revanche, été un quasi sans-faute avec une Sonata sopra Sancta Maria étincelante, un Ave maris stella touchant d'humble recueillement et un Magnificat parfaitement pensé et conduit dont la formidable prière a constitué une conclusion pleine d'une exultation assez emballante.

Ces Vespro della Beata Vergine, malgré quelques faiblesses ponctuelles, ont apporté une nouvelle illustration de l'art de Leonardo García Alarcón, un chef qui, contrairement à un certain nombre de ses confrères qui se rassurent en récitant des leçons bien apprises de leurs aînés sans leur apporter forcément une touche personnelle, ose prendre des risques et remettre en question les certitudes interprétatives. Il y a fort à parier que certains de ses choix de distribution, comme dans le Duo Seraphim, confié à deux ténors et baryton pour mieux illustrer la Trinité, ou d'instrumentation, comme ces flûtes ténor aussi inattendues qu'évocatrices dans l'Ave maris stella, ou encore le fait qu'il souligne, comme peu d'interprètes avant lui, les liens très forts qu'entretient ce recueil sacré avec la musique profane, ne feront pas l'unanimité. Ils ne se sont pas moins unis autour d'une équipe soudée pour offrir, en cette soirée de septembre, un magnifique hommage au foisonnement de l'inspiration monteverdienne, digne à la fois de son métier très sûr et de son imagination toujours en éveil.

Festival d'Ambronay 2013 La machine à rêves
34e Festival d'Ambronay, 13 septembre 2013

Claudio Monteverdi (1567-1643), Vespro della Beata Vergine (1610)

Céline Scheen, Mariana Flores, sopranos
Fabián Schofrin, contre-ténor
Fernando Guimarães, Zachary Wilder, ténors
Victor Torres, Matteo Bellotto, barytons
Sergio Foresti, basse
Cappella Mediterranea
Chœur de Chambre de Namur
Leonardo García Alarcón, direction

Crédits photographiques :

Les clichés utilisés dans cette chronique sont de Bertrand Pichène © CCR Ambronay


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