19 septembre 2013
Pour une fois, le sous-titre est faible car Michel Pastoureau, historien aussi érudit qu’agréable à lire, brosse une histoire de toutes les couleurs de l’Antiquité à nos jours, à travers la couleur préférée de la majorité des adultes : le bleu.
Un destin inattendu puisque dans les temps reculés – Rome, la Grèce, le haut Moyen-Âge - le bleu est une couleur ignorée et mal vue. Le système chromatique se limite alors à la trilogie blanc-rouge-noir. Bien plus, les hommes d’Eglise se disputent entre tenants de la couleur en tant que matière (détestable, donc) ou en tant que lumière (émanant de Dieu). Bernard de Clairvaux bannit des édifices cisterciens toute image et toute couleur quand Suger veut de la couleur partout (Basilique Saint Denis en 1140, Sainte Chapelle en 1250).
Le bleu devient donc à la mode au cours du XIIIème siècle : Saint Louis sera le premier homme public à porter systématiquement du bleu. Objets d’art, émaux, vêtements, armoiries … Le bleu envahit la sphère sociale avec le progrès des plantes tinctoriales qui permettent d’obtenir un bleu lumineux. Le pastel recèle dans ses feuilles l’indigotine, plus facile à manier que la poudre de lapis-lazuli ou l’azurite. Il fera la fortune des régions de Toulouse, du Lauragais et d’Erfurt en Allemagne. Mais à une époque où tout est réglementé, on limite l’utilisation du bleu, qui vient en concurrence avec le rouge fourni par la garance. Il s’agit aussi d’un temps où l’on éprouve une aversion biblique pour les mélanges : mêler, amalgamer, fusionner sont des opérations infernales puisqu’elles enfreignent l’ordre et la nature des choses. Par exemple, on n’obtient pas du vert en mélangeant du jaune et du bleu. Ce serait impossible puisque les teinturiers autorisés à travailler du bleu sont distincts physiquement de ceux qui peuvent teindre en rouge !
On en restera donc longtemps à la trilogie blanc-noir-rouge : le petit chaperon rouge – un conte qui remonte à l’an mil – apporte un pot de beurre blanc à sa grand-mère et/ou au loup noir, une sorcière noire apporte une pomme rouge à une jeune fille au teint blanc, un corbeau noir laisse tomber un fromage à un animal rouge … mais ce système à trois pôles explose au XIIIème siècle en faveur d’un système à cinq couleurs : blanc, rouge, noir ou bleu, vert et jaune. C’est le noir qui devient à la mode, favorisé par les lois somptuaires destinées à limiter l’utilisation de produits trop luxueux et le plus souvent importés.
La couleur devient alors question de morale. Avec la Réforme et le Jansénisme, les personnes sérieuses se vêtent de couleurs sombres. C’est le bleu qui en profite, d’autant plus que les restrictions réglementaires à son utilisation disparaissent au XVIIIème siècle. C’est le triomphe de l’indigo, cultivé de façon industrielle aux Indes et en Amérique et qui met hors-jeu le pastel européen, d’autant plus qu’il ne nécessite pas l’apport de mordant.
Au XIXème siècle, les chimistes allemands comme les Romantiques font du bleu la couleur « tendance ». Le bleu va alors devenir une couleur politique. Bleu est la couleur des uniformes de la Garde nationale, la première couleur du drapeau national, le symbole des idées avancées contre le blanc de la royauté de droit divin …. Pour évoluer vers la couleur des modérés, des centristes, aujourd’hui de la Droite républicaine et de l’Union Européenne comme des soldats de l’ONU.
Au XXème siècle et de nos jours, le bleu, à travers l’aventure du blue jean est sans conteste la couleur la plus répandue dans le monde, et lorsqu’on interroge les adultes pour dire spontanément leur couleur préférée, celle qui est le plus souvent citée (car les enfants préfèrent le rouge !).
Un petit livre passionnant, même sans illustrations, étonnant, indispensable : un plaisir comme sait nous les donner à chaque instant Michel Pastoureau.
Bleu, Histoire d’une couleur, essai de Michel Pastoureau, éditions Points (au Seuil) 220p. 7,10€