Face à la mer, découvrant le chantier d'un autodidacte-paysagiste

Publié le 19 septembre 2013 par Lifeproof @CcilLifeproof


Vue des rochers sculptés par l'abbé Fouré. Photo: Anaïs.

Un tête à tête avec des rochers sculptés ? Ça ne m'était jamais arrivé. C'est à Rothéneuf, face à la mer, entre l'estuaire de la Rance et la baie du Mont-Saint-Michel que l'abbé Fouré sculpta les rochers du littoral. Nous n'étions qu'une poignée de visiteurs, venus découvrir, à marrée basse, ce musée de pierres à ciel ouvert. C'est grâce à une fidèle amie, fascinée par l'art brut, que j'ai eu l'occasion de rencontrer une œuvre aussi insolite qu'exceptionnelle. Un travail de génie construit sur les rivages de granit rose vient s'ajouter aux productions d'art brut. Je connaissais déjà l'architecture monumentale et géniale (au sens du génie) du Facteur Cheval, mais j'ai découvert l’œuvre incroyable de « l'ermite de Rothéneuf » qui, devenu sourd et muet, sculpta de sa main un environnement hors-normes, à la hauteur de sa personnalité, en marge de l'art officiel.


Vue des rochers sculptés par l'abbé Fouré. Photo: Anaïs.

Je l'imagine volontiers sur sa falaise, le vent caressant son visage, en solitaire, rêvant d'histoires et de personnages qu'il gravera ensuite dans la pierre. Adolphe Julien Fouéré, dit l'abbé Fouré, œuvra de 1894 à 1910 et créa plus de 300 personnages de pierre. La tradition veut que l'abbé ait taillé l'histoire de la redoutable famille Rothéneuf et de leurs alliés. Ainsi marins, pirates, contrebandiers, trafiquants et guerriers côtoieraient des créatures hybrides, étranges, autant angéliques que maléfiques. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l'abbé était un homme d'esprit. Il se pourrait très bien que des influences plus populaires, bibliques, personnelles, ou que les événements de l'époque aient pris le pas sur cette légende de corsaires. Certains visages, certaines expressions révèlent des accointances avec la statuaire celtique mais également avec les mythiques gargouilles des cathédrales. D'ailleurs, d'une certaine manière, l'abbé Fouré était un bâtisseur tant il a entrepris pendant plusieurs années de sa vie un chantier absolument prodigieux, ingénieux. L'abbé Fouré a créé un bestiaire, un imaginaire obstiné qui mériterait que l’État lui porte un intérêt. Comme beaucoup d'artistes de l'art brut, l'abbé Fouré est un autodidacte. Mais j'aimerais le requalifier d'autodidacte-paysagiste. Et pourquoi pas le définir comme un précurseur du Land Art ? Aujourd'hui pendant que le palais idéal du facteur cheval est classé aux monuments historiques, on déplore que cette fresque soit à la merci de l'érosion marine et se détériore à chaque déferlement de vagues.


Vue des rochers sculptés par l'abbé Fouré. Photo: Anaïs.

Je ne saurais dire combien j'ai été fascinée par ce travail et seule l'expérience et la rencontre avec l’œuvre peut expliquer quels sentiments m'ont envahi. J'ai essayé, malgré l'excitation, de retrouver ce sentiment de solitude et ce silence qui viennent d'ordinaire accompagner cet environnement surréel. En descendant au plus bas de la fresque, apparaissait une accumulation de visages qui dépassent sans doute les volontés premières du créateur. Finalement, on ne saura jamais si les personnages des rochers sculptés sont historiquement vrais ou fictifs. Ce qui compte selon moi c'est la force et la puissance qui émanent de cette fresque immense. Ces sculptures, toujours vivantes, nous font entrer dans le monde magique de l'abbé. Un homme dont on ne connaît finalement que très peu de choses, mais qui a, au travers de sa main pu révéler son univers, son cosmos et plus largement, sa pensée. Il reste encore de nombreux mystères autour de cet environnement surplombant la mer, encore de nombreuses énigmes qui espérons-le auront l'occasion d'être élucidées pendant encore des décennies. Mais si la mer gagne du terrain et que les végétaux viennent graviter autour de la pierre, que restera t-il de l’œuvre de l'abbé Fouré ?

Anaïs.