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Thuram et Lemarchand ; quand le racisme instrumentalise les violences sexistes

Publié le 18 septembre 2013 par Juval @valerieCG

Je vous parlais dernièrement de l'instrumentalisation du féminisme par l'extrême-droite à des fins racistes ; ce weekend en a fait la parfaite démonstration et je crois important d'en parler. Samedi il était révélé dans la presse que Karine Lemarchand avait porté plainte pour coups et blessures contre son ex compagnon Lilian Thuram. Très rapidement, se créa sur twitter un topic de soutien à Thuram qui dégueulait de propos sexistes : on était en plein slut-shaming, le fait de blâmer la victime. Non moins rapidement l'extrême-droite se jeta sur l'affaire ; l'occasion était trop belle avec un militant noir de gauche accusé de violences sexistes.
Karine Lemarchand a depuis retiré sa plainte ; Thuram aura tout de même un rappel à la loi puisque dans ce genre d'affaires, on peut poursuivre sans plainte de la victime.

Avant de parler de cette histoire, je pense qu'il convient de parler des accusations de viols - qui sont des violences sexistes - face aux hommes noirs.  Comme je le disais antérieurement, un des stéréotypes très prégnants autour des hommes noirs est de supposer qu'ils ont une sexualité exacerbée, violente et agressive, spécialement évidemment envers les femmes blanches d'ailleurs. Cela a visiblement choqué certains d'entre vous de lire que King Kong illustre à merveille ce stéréotype ; pensiez vous vraiment qu'un film parlant d'un singe gigantesque et agressif qui enlève une blonde jeune femme blanche n'avait RIEN à voir avec les revendications des noirs de l'époque ?

Entre le XIXeme et le XXeme siècle il y eu 4742 noirs lynchés aux USA. En 1906 on accusa Ed Johnson, un homme noir, de viol sur une femme blanche, il fut lynché. On estima en 2000 que son procès ne lui avait laissé aucune chance. En 1921,  Aaron Birdsong  fut lynché pour avoir tenté de violer deux femmes. Le très jeune Emmett Till fut massacré pour avoir sifflé une femme blanche. La prétendue sexualité dévorante et bestialité des noirs, leur prétendue goût pour la violence, leur prétendue haine pour les blancs et spécialement les femmes blanches, ont servi de prétexte au lynchage. Chaque fois qu'il s'est agi d'exercer une violence étatique envers les noirs, le mythe du noir violeur a resurgi comme par enchantement. Rappelons par ailleurs que le viol était pour les blancs esclavagistes puis ségrégationnistes un moyen de violence et de contrôle des femmes noires. Le viol instrumentalisé pour justifier le lynchage des noirs fut employé à partir de la fin du XIXeme siècle ; la première vague de lynchage avait été justifiée par la peur d'une domination noire. Comme cette accusation ne fonctionnait plus, il fallait inter autre chose ; le mythe du violeur noir.
Je cite le journaliste Thomas Nelson Page journaliste à la North American Review (dans Angela Davis Femmes , race et classe) qui dit "Le crime de lynchage ne cessera pas tant que n'auront pas diminué les viols et les crimes contre les femmes et les enfants. Et ces crimes, qui sont presque exclusivement l'apanage de la race noire, ne diminueront pas tant que les noirs eux-mêmes n'auront pas décidé d'y mettre fin".

Cette terrible accusation eut d'importants effets ; certains soutiens blancs de la cause noire se détournèrent d'eux, des militantes féministes corroborèrent ces accusations.
Dans les années 70 des féministes blanches comme Susan Browmiller ont continué à perpétuer certains de ces clichés.
Le mythe du violeur noir perdure puisque Davis nous rappelle qu'entre 1930 et 1967, sur le 455 hommes exécutés pour viol, 404 étaient noirs.
Il ne s'agit pas - j'en vois certains venir - de prétendre qu'aucun homme noir n'a jamais violé. Il s'agit de comprendre que le viol a servi de prétexte pour terroriser les hommes noirs (en les accusant d'être des violeurs) et les femmes noires (en les traitant de putes, en les violant ou en refusant de prendre leurs plaintes).

En 1945, de nombreux GI violèrent des femmes en Europe ; dans What soldiers do, Mary Louise Roberts  montre que lorsque les gouvernement français demanda à l'arme américaine de juger cees crimes, il y eut 152 soldats arrêtés pour des viols commis entre juin et octobre 1944. Alors que les noirs ne représentent que 10% du contingent, ils représentaient 139 des accusés. Sur les 39 soldats exécutés pour viol entre 1944 et 45, 25 étaient noirs.

Avec cet historique, ce passé autour du viol,il  n'étonnera personne que les femmes afro-américaines en portent pas plainte lorsqu'elles sont victimes de viol. Ainsi aux USA, un rapport de la justice de 2003 souligne que pour chaque femme blanche qui porte plainte, , 5 ne le font pas. Ce chiffre monte à 15 pour les femmes noires. Les femmes noires savent très bien deux choses ; si toute femme aura droit à des accusations concernant son attitude si elle porte plainte pour viol, les femmes noires y auront encore plus droit puisque le stigmate de la putain leur colle à la peau.  Qui plus est les femmes noires savent très bien que leurs plaintes seront instrumentalisés contre les noirs en général (si leur violeur l'est). Dans ce contexte, porter plainte devient très complexe : comment porter plainte alors qu'on sait que notre plainte sera instrumentalisée ?

On ne peut pas étudier et parler de l'affaire Thuram/Lemarchand hors de ce contexte et sans tenir compte du fait que les deux protagonistes sont noirs. On ne peut pas penser que les milliers de twits sexistes la visant  et racistes, qui soulignaient que tous les hommes noirs étaient violents, n'ont pas consciemment ou non incité Karine Lemarchand à retirer sa plainte.
Dans "Des discours autorisés sur la violence faite aux femmes au pays de Johnny Hallyday", Delphy soulignait "Raciste car il fait des arabes et/ou des musulmans des individus naturellement programmés au sexisme. Sexiste car il vient alimenter l’idée, à la base de la pensée anti-féministe, que "la violence sexiste ne peut être qu’accidentelle chez nous parce que le patriarcat est localisé ailleurs".

C'est totalement ce qui se passe ici. L'extrême-droite n'en a jamais rien eu à faire des droits des femmes. Ils sont contre l'avortement, pour le retour des femmes au foyer, accusent de pute toutes les femmes aimant/désirant des hommes racisés, sont lesbophobes. Le féminisme est juste récemment - depuis une dizaine d'années me semble-t-il - devenu pour eux un véritable enjeu de lutte raciste.
A ce titre là les actes de Thuram - je les qualifie ainsi puisque le rappel à la loi qu'il va recevoir semble dire, si j'ai bien compris, que les coups ont bien été assénés - sont pain bénit pour eux puisqu'ils leur permettent de taper et sur Thuram et sur Taubira (pourquoi Taubira ? Elle est noire on vous dit).

J'ai lu sous la plume de féministes que Thuram était comparable à Cantat. Non Thuram n'est pas un Cantat. Si les victimes ont bien toutes deux été suspectées d'avoir cherché les coups, personne n'a dit de Cantat que sa violence était génétique ou du à son taux de mélanine. Personne ne parle du "blanc Cantat", comme on parle du "noir Thuram". Personne ne s'est servi de Cantat pour expliquer que tous les blancs sont violents.

L'extrême-droite nous instrumentalise. J'avoue que j'aimerais bien avoir une solution toute faite. Je voudrais ne pas avoir à écrire ce texte pour tenter de déconstruire les discours sexistes qui ont servi à rendre Lemarchand responsable de ce qu'elle avait vécu. Je disais dans mon texte sur l'islam que les féministes vont désormais passer leur temps à dénoncer les discours racistes qui les instrumentalisent pendant que les musulmans et les racisés vont devoir justifier qu'ils ne sont pas des violeurs/cogneurs de femmes. Comment faire autrement ? Enfin - je vous vois toujours autant venir - non je n'excuse pas Thuram parce qu'il est noir. Je n'excuse rien du tout. Je ne tolère pas en revanche  que des merdes utilisent la violence contre les femmes pour tenir des propos racistes. Quoi qu'ait fait Thuram, rien ne justifie le traitement raciste qu'il a subi ce weekend (et ce qu'a subi Lemarchand ne le justifie pas non plus).

J'ai hésité à mettre les twits qui vont suivre. Je trouve que c'est déjà assez que ces twits existent et cela me parait curieux et violent de les republier. Néanmoins j'ai l'impression que certains et certaines vivent un peu dans un monde merveilleux. (et surtout cela évitera qu'on m'accuse d'inventer le racisme que Thuram a subi). Si certain-e-s se sentent blessés ou agressé-e-s par ces twits, qu'ils/elles n'hésitent pas à le souligner.

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