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Deux sociétés qui vendent la męme chose – des billets d’avion – et que pourtant tout oppose.
Quelques exemples significatifs…
— Air France est dans une situation économique critique, que le plan Ť Transform 2015 ť est censé résoudre avec notamment la suppression de plus de 5 000 emplois sur un total d’un peu moins de 50 000.
— Ryanair, quant ŕ elle, affiche un modčle économique insolent avec 570 millions d’Euros de bénéfices en 2012 et a franchi la barre des 80 millions de passagers transportés. Elle n’emploie que le strict minimum. Toujours extravagant, son PDG, Michael O’Leary, est allé aux USA pour étudier et comprendre le fonctionnement d’une compagnie low cost régionale, et si on le laissait faire, il irait męme jusqu’ŕ Ť supprimer les copilotes pour ne laisser que le commandant, seul dans le cockpit ť (sic).
Certes, contrairement ŕ Air France, Ryanair, dispose d’une flotte mono-machine composée uniquement de Boeing 737-800, ce qui réduit considérablement les coűts. Est-ce lŕ le secret de la réussite ? Peut-ętre, mais peut-ętre pas uniquement, car :
— Les personnels de Ryanair ne sont pas Ť salariés ť. Ce sont tous des Ť freelance ť sous contrat de franchise, inscrits au registre du commerce Irlandais. Quelle que soit leur nationalité ou le pays oů ils sont basés, leurs salaires sont les męmes et ils n’ont droit ŕ strictement rien de plus.
— Les personnels d’Air France sont tous salariés, et la compagnie est donc assujettie ŕ la loi Française (chômage, retraite, sécu, etc.)
La maničre dont on traite le personnel peut soit coűter de l’argent, soit en rapporter. Lŕ encore, les deux compagnies diffčrent radicalement :
— En cas de déroutement, Ryanair n’a que faire du sort de ses équipages et les oblige indirectement ŕ dormir sans męme une couverture et ŕ męme le sol, dans la petite salle PN (Personnel Navigant) de la base oů ils ont atterrit, une sorte de vestiaire de quelques mčtres carrés, entouré de casiers ; cette situation a été de nombreuses fois rapportée par des pilotes de Ryanair. Si les personnels navigants souhaitent aller ŕ l’hôtel, Ryanair ne s’y oppose pas, mais c’est ŕ leurs frais.
— Chez Air France c’est différent. La compagnie met ŕ disposition de ses personnels, des Ť Cités PN ť, comme celle de Roissy Charles de Gaulle : une véritable petite ville de 33 000 m2, avec une cafétéria, une ou plusieurs boutiques, un vrai restaurant, une médiathčque, un petit musée, des espaces repos et de belles chambres individuelles qui n’ont rien ŕ envier aux plus beaux hôtels qu’on peut trouver autour de Roissy-CDG.
En cas de déroutement ou de destination lointaine, et si rien n’est prévu ŕ cet effet, la compagnie prend tout en charge : hôtel, repas, voire plus…
Mais les conditions de travail ne sont pas les seules différences entre Ryanair et Air France. Ainsi, en vacances :
— Un pilote de Ryanair, quand il est en Ť vacances ť n’est pas en Ť congés payé ť : il ne gagne strictement rien. Ryanair lui interdit de compenser ce manque financier en travaillant pour un autre employeur, quel qu’il soit. Et s’il souhaite voyager ŕ bord d’un appareil de Ryanair, il devra payer son billet d’avion plein tarif, comme tout le monde alors que chez Air France…
— Un pilote d’Air France, en tant que salarié, est bien entendu payé durant ses congés. Mais parallčlement, le CCE d’Air France met ŕ sa disposition de nombreux villages de vacances, propriétés de la compagnie, comme celui de Saint-Tropez, par exemple. Il y trouvera tout ce dont un vacancier peut ręver, un peu comme s’il se rendait dans un Club Med de luxe : bel hôtel, accčs ŕ la plage, piscine, restaurant, animations, tennis, golf, etc.
Par ailleurs, s’il voyage avec Air France, le pilote vacancier bénéficiera de billets GP (Gratuité Partielle) qui réduiront les tarifs de maničre significative : par exemple, selon Ť Challenges ť, l’ex-PDG d’Air France, Pierre-Henri Gourgeon, a reconnu en 2012, avoir payé un billet GP, aller-retour Paris-Maurice en classe Affaires… 24 Euros ! Ce tarif serait le męme pour chaque personnel d’Air France. Les billets en Gratuité Partielle, les somptueux villages de vacances… on commence ŕ saisir ce qui creuse les comptes de la compagnie et on n’est pas certain que licencier 5000 personnes, suffise ŕ faire remonter les finances dans le vert.
Et en cas de maladie ?
— Chez Ryanair, aucune indemnisation n’est prévue. Les choses sont simples : vous ne travaillez pas, vous n’ętes pas payé. Vous ętes blessé ou vous perdez votre aptitude au pilotage, vous n’ętes plus payé. Circulez !
— Chez Air France, on paiera aux personnels, jusqu’ŕ trois mois d’absence par an. De plus, les pilotes bénéficient d’une assurance Ť perte de licence ť qui les couvrira en cas d’inaptitude médicale.
Et aprčs ? Quid de la retraite ? Que deviennent les anciens ?
— Pour Ryanair, encore une fois, le calcul est simple : chacun se débrouille comme il peut. La compagnie ne prévoit pas de cotisations retraites, pas d’indemnisation ou męme une simple petite prime de départ. Le pilote retraité est quitte pour une bonne poignée de main et peut-ętre une coupe de Champagne…
— Chez Air France, en plus de la retraite de base, les personnels navigants bénéficient d’une caisse supplémentaire, la Ť Caisse de Retraite du Personnel Navigant Professionnel ť (CRPN). Les hôtesses et stewards peuvent en jouir dčs 55 ans, les pilotes dčs 60 ans voire 65, s’ils sont aptes et qu’ils souhaitent encore voler. Ainsi, selon une source, il n’est pas rare de trouver d’anciens commandants de bord qui touchent une retraite de… 8 000 Euros par mois ! Le trou se creuse encore…
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Ces quelques exemples de différences entre Ryanair et Air France sont, bien entendu, non-exhaustifs et nous ne pourrions pas tous les énumérer au travers d’une simple chronique.
Mais pourquoi un si grand écart entre deux sociétés qui pourtant, vendent la męme chose : des billets d’avion ? Pour comprendre, il faut remonter aux origines des deux compagnies :
— Ryanair est une compagnie Irlandaise privée et menée d’une main de fer par un PDG ancien expert-comptable, Michael O’Leary, qui tire de tous les côtés, marge ŕ tous les étages et ce, jusqu’ŕ aller faire payer leurs uniformes aux pilotes ; pilotes qui les achčtent auprčs d’un fournisseur appartenant au Groupe… Ryanair ! La qualification sur Boeing 737-800 – que les pilotes payent eux-męmes et qui les endette pour plusieurs années –, est dispensée par une société du Groupe… Ryanair ! Et les exemples de ce type fourmillent autour du systčme Ť Ryanair Hodings ť. Car en effet, la compagnie gagne de l’argent grâce ŕ une multitude d’astuces commerciales souvent ŕ la limite de la légalité. Qui plus est, les pressions et exploitation du personnel et autres formes de dumping social, sont monnaie-courantes au sein de la compagnie.
Puisque le carburant représente 43 % des dépenses annuelles, dans chaque avion, la compagnie en réduit l’emport ŕ la limite de ce que la législation permet.
De plus, Ryanair arrive ŕ se faire verser de juteuses subventions par les collectivités locales au nom de la création d’emploi…
Ajoutez ŕ cela, un PDG fin businessman qui, lors d’achat d’avions, arrive ŕ obtenir des tarifs défiant toute concurrence pour les revendre ensuite ŕ bon prix, et vous arrivez progressivement aux 576 millions de bénéfices annuels, tout en proposant des billets d’avions ŕ des tarifs ultra-compétitifs, dont la vente ne représente que 10% du chiffre d’affaire de Ryanair.
— Air France est une ancienne entreprise publique d'aprčs guerre partie d'un consensus entre Gaullistes et Communistes et qui bénéficie encore de trčs larges avantages historiques. La compagnie prend grand soin du confort de ses salariés : outre les Cités PN, les villages de vacances, les salaires trčs Ť confortables ť des personnels, la CRPN impacte sérieusement les coűts de la compagnie. Cependant, Air France ne peut plus baisser les cotisations CRPN, car comme pour toute convention collective française, elle est gravée dans le marbre et en France, quand un avantage est acquis, on n’y touche plus !
Finalement, l’idéal ne serait-il pas un modčle Ť Value Cost ť comme celui de Ť HOP! ť, par exemple ? Disposant pourtant d’une flotte multi-machine, la compagnie (qui, ironie du sort, appartient au Groupe Air France-KLM) a les compteurs dans le vert depuis son lancement, début 2013. Ses pratiques sont alignées sur celles de Régional : sans ętre exploités comme chez Ryanair, les pilotes sont cependant moins payés qu’ŕ Air France car leurs salaires sont ramenés au nombre d’heures passées dans le cockpit et, s’ils bénéficient du droit au chômage et ŕ la retraite, il n’ont pas autant d’avantage.
Mais tâchons de rester optimiste. Car entre l’insolente réussite ŕ la gloire de l’ultra-libéralisme de Ryanair, et la chute libre financičre d’Air France, comment ne pas croire qu’un jour, un juste milieu soit trouvé ?
Bastien Otelli – AeroMorning