OPINION - par Marc Laffont
La tournure récente des évènements entraîne une légitime tendance à l'exaspération chez les protecteurs de le biodiversité, en général, et des grands prédateurs, en particulier.
Sans tomber dans l'angélisme béat, je voudrais quand même leur rappeler qu'à défaut d'être reluisante, la situation spécifique des grands prédateurs en France est cependant meilleure aujourd'hui qu'elle n'était il y a une vingtaine d'année. Souvenez-vous à l'époque, il devait rester 6 ou 7 ours et les deux premiers loups venaient de faire leur apparition après une éradication totale depuis 60 ans à peu près.
En 2013, on dénombre une grosse vingtaine d'ours dans les Pyrénées et environ 250 loups, essentiellement dans l'arc alpin, mais de plus en plus au delà. En fait, le point d'incontestable recul est sans doute le moins médiatisé: c'est la quasi disparition du lynx dans les Vosges.
L'avenir n'est pas linéaire et prolonger des courbes de tendance un peu trop longtemps s'avère presque toujours une erreur. Je pense à ce titre que nous avons sans doute pensé trop tôt, lors du renforcement ursin de 2006, que la partie avait basculé du bon côté. L'enthousiasme n'est souvent que ponctuel, alors que la haine, elle, est tenace. Les anti-ours le rappellent régulièrement.
A l'inverse, il faut aussi se souvenir que la quintessence républicaine ariégeoise avait obtenu en 2000 de l'Assemblée Nationale le vote d'un amendement ordonnant le retrait des ours ré-implantés en 1996-1997. Vote qui avait alors été pris pour argent comptant par la presse régionale (relisez ce somptueux article de l'époque). Qui alors aurait sérieusement pu penser qu'une deuxième salve de restauration de l'ours serait décidée cinq ans plus tard ? Mais le fait est que, si ces animaux se portent globalement (un peu) mieux dans notre pays, c'est à eux-mêmes et au travail de quelques associations qu'ils le doivent, et certainement pas au courage politique hexagonal.
Le problème d'aujourd'hui vient d'ailleurs largement du recul idéologique grave dont fait preuve la représentation politique à l'égard des grands prédateurs. A commencer par la simple comparaison entre l'argumentaire sur l’ours proposé par Serge Lepeltier et Nelly Olin en 2005 et le concours de veulerie pratiqué ensuite par leurs successeurs (sauf Nicole Bricq, qui n'a eu le temps de rien) : Il ne faut pas rajouter de problème à la sècheresse. Et si la camionnette tombe en panne ? etc...
En fait, je pense qu'il n'existe pas dans la langue française de terme permettant de décrire de façon adéquate ce positionnement qui s'apparente à un subtil dosage de médiocrité, de révisionnisme, de mépris, de cynisme, et d'inconséquence envers les générations futures.
Médiocrité, car faire du plus minable pensant sa doxa politique ne peut pas être qualifié autrement, tant qu’on s'efforce de faire preuve d'un minimum de retenue envers ces tristes sires et leurs idéologies imprégnées de naphtaline et de IIIème république. Médiocrité des roitelets locaux clientélistes, prêts à vendre père et mère, si ce n'était déjà fait, pour un mandat de plus. Mais finalement pire pour les autres: tomber si bas, de la part de politiques dits « d'envergure nationale », pour préserver un espoir de ré-élection, alors que la sanction tombe la plupart du temps lorsque l'heure de l'alternance est venue. Ce n'est pas le piteux renoncement au lâcher d'une ourse en 2011 qui a changé quoi que ce soit à un certain destin présidentiel, un an plus tard...
Révisionnisme, car comment qualifier autrement la reprise ad nauseam d'un argumentaire faisant de la présence d'un animal domestique n'appartenant pas à la faune autochtone française, et au détriment d'espèces parapluie, le garant de la préservation des écosystèmes ?
Il n'y a pas une espèce en France à devoir naturellement sa présence à l'introduction de l'agro-pastoralisme. La surdensité, localement, oui, la présence, non. Quant à l'esthétique, c'est une notion totalement subjective qui ne peut en aucune façon justifier l'éradication d'espèces, qui plus est protégées au niveau européen. Et le terme « façonner » si souvent repris pour justifier la subventionnite aiguë, n'a jamais été synonyme d'améliorer. Révisionnisme également lorsqu’on cède délibérément aux délires de l’ultra-chasse, auto-proclamée « nécessité pour la biodiversité ».
Mépris, car on ne peut qualifier autrement, tout du moins dans un pays qui se dit démocratique, l'absence totale de prise en considération de la volonté du plus grand nombre, lequel se déclare favorable à la coexistence entre les grands prédateurs et les activités humaines. Activités qu'il serait ridicule, et mensonger, de réduire à la seule sphère agropastorale. Sphère, ou plutôt baudruche, dont le maintien dépend justement de l'acceptation par la majorité précitée de prélever sur sa cassette personnelle les subsides permettant ensuite de maintenir sous assistance respiratoire la dite filière. L'opinion de la majorité n'est pas le seul critère à prendre en compte. Mais il se trouve que dans ce cas précis, l'opinion publique est majoritairement en phase avec les engagements européens de la France. Eux mêmes résultant des connaissances scientifiques sur le rôle des grands prédateurs dans les équilibres écosystémiques.
Cynisme, car comment qualifier autrement cette démarche consistant à laisser croire à des éleveurs, dont la survie ne tient qu'à l'accroissement régulier et sans doute perpétuel de leurs subventions, que leur situation va significativement s’améliorer lorsqu'ils seront débarrassés de quelques loups et ours ?
Les politiques savent très bien que 60 % des éleveurs ovins ont plus de 50 ans, et ce, bien que les effectifs aient déjà fondu des 2/3 en 20 ans. Ils savent aussi, et même surtout, que le poids des retraités agricoles est bien supérieur à celui des actifs. Il suffit de regarder le nombre d'inscrits sur les listes lors des dernières élections en Chambres d'Agriculture : en général, le collège des retraités comportait environ deux fois plus d'inscrits que celui des actifs!
Deux fois plus de retraités que d'actifs agricoles, dans un contexte de participation électorale plus élevée chez les retraités en général, et une sur-représentation anachronique des zones rurales. Ajoutez à cela un anti-environnementalisme viscéral chez le français (inventeur du concept d'espèce nuisible), le lobby de la chasse, et la croyance, toujours tenace, qu' « un champ qui tombe en friche, c'est une portion de la France qui meurt. » (Et non, ce n'est pas de Arnaud Montebourg, mais de Philippe Pétain, 25 juin 1940...). Il n'en faut pas plus à un personnel politique pusillanime pour multiplier les gâteries à tous ces « bienfaiteurs de l’État Français ». Pourquoi donc heurter frontalement ce pouvoir de nuisance électoral, alors que ses forces vont inéluctablement décroître avec le temps et qu'on peut s'en accommoder d'ici là à moindre frais ?
« Mourir pour Dantzig, non! » avait dit Marcel Déat en son temps. « Risquer de perdre une élection pour une bestiole, certainement pas! » pourraient répondre, à leur piètre niveau, les lilliputiens en 2013. Et en règle générale, perdre une élection pour défendre l'intérêt général lorsque celui-ci s'oppose à mon intérêt électoral particulier, quelle idée saugrenue...
Inconséquence envers les générations futures, enfin. Car ce n'est pas en préservant une unique population d'ours en Sibérie, un dernier groupe de hamsters en Ukraine ou une ultime relique de lynx dans les Carpates qu'on préservera la productivité et la richesse des écosystèmes dont nos descendants auront nécessairement besoin, en France et ailleurs. Sauf à avoir colonisé Mars d'ici là, comme le pronostiquait un candidat,...disons visionnaire..., à la dernière présidentielle... Et imaginer que l’ultra-chasse puisse tenir le rôle des prédateurs est une absurdité encore plus délirante qu’une imminente colonisation martienne.
C'est pourtant comme cela que finirait la vie sauvage, si on appliquait la « brillante » théorie consistant à ne préserver sur notre sol que les espèces mondialement menacées : il y aurait systématiquement au final ailleurs dans le monde un endroit plus à même de préserver ces derniers vestiges : chez nous il y aura toujours des activités déficitaires qu'il sera toujours plus « utile » de subventionner que de préserver une Nature bien moins productive et bien plus contraignante que la campagne. D’ailleurs, pourquoi préserver la Nature alors qu’il suffit de lui substituer la campagne ?
Dans le monde merveilleux que ces messieurs-dames fantasment, ne subsisterait qu'une « biodiversité-Potemkine », réduite au minimum tolérable, c'est à dire à presque rien de sauvage. C'est vrai que l'homme et ses animaux domestiques ne représentent « que » 98 % de la biomasse des vertébrés terrestres. Il y a donc au moins encore 1,9 % à récupérer. Les 0,1 % restant suffiront largement pour alimenter des zoos à la rentabilité assurée par la rareté de leurs pensionnaires...
Mais il y a cependant une tendance politique qui mérite une réprobation particulière : ce sont ceux qui se prétendent écologistes et qui, pour parvenir au pouvoir, adorent ce qu'ils ont brûlé et brûlent ce qu'ils ont adoré. Car, au final, on ne peut que difficilement reprocher à des productivistes de tous horizons, idolâtres de la croissance, d'être incapables de changer spontanément de logiciel. Par contre, la rancune est plus que légitime envers ceux qui prétendaient « faire des alliances avec les partis progressistes » pour faire progresser l'écologie, et pour au final ne faire progresser que leur carrière. Je ne conteste pas qu'il puisse y avoir des personnes sincères à l'intérieur de la mouvance. Mais les résultats sont là, ou plutôt leur absence, pour témoigner du naufrage. Que le mouvement soit gangrené par l'idéologie anti-nature d'un syndicat agricole passéiste, et qui ne vaut décidément pas mieux que les autres, parachève ce bilan.
J'ai moi -même pêché par naïveté excessive en croyant qu'un vote, même sans grande conviction dans le contexte (2012), était toujours préférable à une abstention ou un vote blanc. Dont acte.
Errare humanum est, perseverare diabolicum.
Dans notre système, au premier tour on choisit, au second on élimine, dit-on. Il sera toujours temps de voir si au second tour une liste mérite plus que les autres d'être éliminée. Au cas par cas. Parfois, il y aura aussi une liste qui méritera d'être soutenue, comme à Arbas. Mais le cas statistiquement le plus probable, pour quiconque souhaite défendre la biodiversité, c'est qu'il n'y ait pas une liste pour relever l'autre, au premier comme au second tour...
C'est la raison pour laquelle je vous propose un autre mode d'expression civique, mais pas vraiment novateur, pour les prochains scrutins : allez voter, pour être comptabilisés, mais fabriquez vous même votre bulletin.
Comme marque de rassemblement, je propose d'écrire dessus « Biodiversité ? ». Ou en recouvrant de cette inscription le bulletin qui aurait pu être choisi, si...
Mais chacun est libre de compléter, en fonction de sa sensibilité, avec par exemple un ajout relatif à une espèce localement maltraitée : phoque, ours, hamster, loup, lynx, grand et petit tétras, etc.
J'entends déjà les critiques sur l'inutilité d'une telle démarche. C'est vrai qui si on se retrouve trois pelés et un tondu à le faire sur 40 millions d'électeurs, ce sera tout à fait exact. On peut aussi choisir de ne rien faire en espérant que ça vienne. Et râler en attendant, en s'abstenant ou en votant par défaut. Pourquoi pas...
Quantités de mairies vont se jouer à quelques voix. Bien que ce ne soit pas le pire en France, ce mode de scrutin reste terriblement déformant : The winner takes it all, comme disaient les philosophes suédois Anderson et Ulvaeus en 1980. Ou presque: aux municipales la prime au vainqueur (50 % des sièges), même dans la configuration improbable d'une quadrangulaire, permet à la liste qui arriverait en tête avec 26-27 % des voix de remporter quand même environ 65 % des sièges. Quelques voix peuvent donc coûter très cher. Par exemple, dans un duel, un vainqueur avec 50,01 % remportera 75 % des sièges, et le vaincu de peu à 49,99 % n'en aura que 25 %.
La répartition des 50 % de sièges qui ne sont pas d'office attribués au gagnant se fait selon la règle dite « de la plus forte moyenne ». Là aussi, quelques voix en plus ou en moins peuvent être décisives. Donc potentiellement douloureuses. La règle est différente dans les communes de – de 1 000 habitants, mais le principe d'une élection de conseiller municipal se jouant sur quelques voix demeure.
Quand on ne peut pas gagner, il faut limiter ses ambitions à ce qui est possible, à savoir faire perdre ceux qui vous considèrent comme des imbéciles inertes, incapables de réagir et acquis d'office à leur cause grâce au système. D'où l'intérêt de pouvoir clairement identifier le message envoyé parmi un ensemble de bulletins « nuls » ou « blancs », peut être significatifs, mais plus anonymes.
Il nous reste six mois pour aboutir à une réponse électorale qui soit autre chose qu'un arc réflexe provoqué par le bipartisme, et un mal nommé vote utile qui a déjà fait la preuve de son inanité. Évidemment, je me rallierai à toute idée incontestablement meilleure. Et globalement, ce type de résolution, aussi futile soit-elle, est parfaitement compatible avec d'autres initiatives permettant de lutter contre les minorités de nuisance, que ce soit publiquement ou plus discrètement. Elles ne doivent avoir qu'un seul impératif : rester légalistes.
Pour conclure : pourquoi ne faut-il pas désespérer ?
Bien sûr, l’extrême virulence des anti-nature s’explique largement par l’impunité totale, et même l'appui, dont bénéficient leurs exactions. Il n’y a pas de doute là dessus. Ce serait cependant réducteur de s’en tenir à cette seule lecture.
Cette violence trouve aussi sa motivation dans la prise de conscience par la filière de sa faible espérance de vie. Le déclin des moins compétitifs fait partie intégrante de l’intensification agricole. Et il continuera pour l’élevage de montagne, avec ou sans la présence des grands prédateurs, cela est acquis et admis, d’ailleurs. Mais s’il y a une hypothèse à laquelle se refusent les plus virulents des opposants, c’est celle de disparaître en laissant la place à des animaux qui incarnent ce qu’ils haïssent le plus : La Vie Sauvage!
La vraie, celle sur laquelle ils n’ont pas de prise. Alors ils se doivent de les exterminer avant d’inéluctablement céder la place eux mêmes, vu qu’ils sont définitivement incapables d’admettre le principe de cohabitation. Ce souhait est au minimum illusoire pour le loup. Ils le savent pertinemment et cela décuple leur rancœur, laquelle ne risque donc pas de faiblir.
Mais c’est cet aveu d’impuissance au bout du compte qui doit entretenir l'espoir, même et surtout quand ça va mal.
Marc Laffont
* : sous-titre du film Midnight Express