« La poésie s'écrit “comme on ment à un mourant et qui le sait” (Michel Deguy). Elle sait que le
ciel est vide, que le visage de l'homme se dissipe, que la langue fatigue et
s'éteint, que la vérité s'échappe, que le sens demeure hors d'atteinte, qu'elle
n'a elle-même plus de pouvoir et qu'elle ne peut rien promettre. Elle sait que
depuis des années le propos de la littérature n'est plus que de répéter
éperdument son absence de savoir. Elle sait le désenchantement, l'inquiétude,
le retrait, le défaut. Elle a appris cela par cœur, jusqu'à l'écœurement…Et
pourtant il lui appartient de continuer à vouloir autre chose. Ne fut-ce que
pour en accuser le manque. Pour que l'homme ne renonce pas mais reste celui qui
questionne. Qu'il ne puisse jamais croire avoir réponse à tout. Qu'il ne se
contente pas de manger, digérer, désirer, forniquer, consommer, accumuler et
idolâtrer les objets. Qu'il ne soit pas tout à fait sa propre dupe. Pour qu'il
sache que demeure ce creux, ce trou que fait en lui la langue »
Jean Michel Maulpoix, Le poète perplexe,
José Corti 2002, p. 254.